Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
l’appelait :
– Scipio, ici !… Scipio !…
Scipio !
L’oncle venait de m’apercevoir et me tendait
les bras du haut de son cheval. Je m’accrochai à sa jambe, il me
leva et m’embrassa ; je sentis qu’il pleurait et cela
m’attendrit. Il me tendit ensuite à Mme Thérèse, qui m’attira
dans sa charrette en me disant :
– Bonjour, Fritzel.
Elle paraissait bien heureuse et m’embrassait
les larmes aux yeux.
Presque aussitôt le mauser et Koffel
arrivèrent, donnant des poignées de main à l’oncle ; puis les
autres gens du village, pêle-mêle avec les soldats, qui remettaient
aux hommes leurs sacs et leurs fusils pour les porter en triomphe,
et qui criaient aux femmes :
– Hé ! la grosse mère !… La
jolie fille !… par ici !… par ici !
C’était une véritable confusion, tout le monde
fraternisait, et au milieu de tout cela, c’était encore petit Jean
et moi qui paraissions les plus heureux.
– Embrasse petit Jean, me criait
l’oncle.
– Embrasse Fritzel, disait
Mme Thérèse à son frère.
Et nous nous embrassions, nous nous regardions
émerveillés.
– Il me plaît, cria petit Jean, il a
l’air bon enfant.
– Toi, tu me plais aussi, lui dis-je,
tout fier de parler en français.
Et nous marchions bras dessus bras dessous,
tandis que l’oncle et Mme Thérèse se souriaient l’un à
l’autre.
Le commandant me tendit aussi la main en
disant :
– Hé ! Dr Wagner, voici votre
défenseur. – Tu vas toujours bien, mon brave ?
– Oui, commandant.
– À la bonne heure !
C’est ainsi que nous arrivâmes aux premières
maisons du village. Alors on s’arrêta quelques instants pour se
mettre en ordre, petit Jean accrocha son tambour sur sa cuisse, et
le commandant ayant crié : « En avant,
marche ! » les tambours retentirent.
Nous descendîmes la grande rue, marchant tous
au pas et nous réjouissant d’une entrée si magnifique. Tous les
vieux et les vieilles qui n’avaient pu sortir étaient aux fenêtres
et se montraient l’oncle Jacob, qui s’avançait d’un air digne
derrière le commandant entre ses deux aides. Je remarquai surtout
le père Schmitt, debout à la porte de sa baraque ; il
redressait sa haute taille voûtée et nous regardait défiler avec un
éclair dans l’œil.
Sur la place de la fontaine le commandant
cria : « Halte ! » On mit les fusils en
faisceaux, et tout le monde se dispersa, les uns à droite, les
autres à gauche ; chaque bourgeois voulait avoir un soldat,
tous voulaient se réjouir du triomphe de la République une et
indivisible ; mais ces Français, avec leurs mines joyeuses,
suivaient de préférence les jolies filles.
Le commandant vint avec nous. La vieille
Lisbeth était déjà sur la porte, ses longues mains levées au ciel,
et criait :
– Ah ! madame Thérèse… ah !
monsieur le docteur !…
Ce furent de nouveaux cris de joie, de
nouvelles embrassades. Puis nous entrâmes, et le festin de jambon,
d’andouilles et de grillades arrosées de vin blanc et de vieux
bourgogne commença : Koffel, le mauser, le commandant,
l’oncle, Mme Thérèse, petit Jean et moi, je vous laisse à penser
quelle table, quel appétit, quelle satisfaction !
Tout ce jour-là, le 1 er bataillon
resta chez nous ; puis il lui fallut poursuivre sa route, car
ses quartiers d’hiver étaient à Hacmatt, à deux petites lieues
d’Anstatt. L’oncle resta au village, il déposa son grand sabre et
son grand chapeau ; mais depuis ce moment jusqu’au printemps,
il ne se passa pas de jour qu’il ne fût en route pour
Hacmatt : il ne pensait plus qu’à Hacmatt.
De temps en temps Mme Thérèse venait
aussi nous voir avec petit Jean ; nous riions, nous étions
heureux, nous nous aimions !
Que vous dirai-je encore ? Au printemps,
quand commence à chanter l’alouette, un jour on apprit que le
1 er bataillon allait partir pour la Vendée. Alors
l’oncle, tout pâle, courut à l’écurie et monta sur son
Rappel ; il partit ventre à terre, la tête nue, ayant oublié
de mettre son bonnet.
Que se passa-t-il à Hacmatt ! Je n’en
sais rien ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que le lendemain,
l’oncle, fier comme un roi, revint avec Mme Thérèse et petit
Jean, qu’il y eut grande noce chez nous, embrassades et
réjouissances. Huit jours après, le commandant Duchêne arriva avec
tous les capitaines du bataillon. Ce jour-là, les réjouissances
furent encore plus grandes.
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