Mademoiselle
s'accoutumât et accoutumât la cour à de tels projets. Les mariages royaux étaient affaires d'État.
La seconde quinzaine de septembre, Anne-Louise, en pleurs, monta donc avec Mme de Saint-Georges dans son carrosse. La reine ne pouvait retenir ses larmes. Mais les ordres de l'homme rouge étaient sans appel.
On s'arrêta à Rueil où la fillette, inconsolable d'avoir été séparée de sa tante, dut entendre la réprimande du cardinal détesté. L'homme, immense et glacial, la gronda d'avoir parlé de « petit mari » à propos du dauphin.
— Vous êtes trop grande, Mademoiselle, pour user de ces termes. Cela n'est pas séant.
Il accumula tant de raisons et de reproches qu'Anne-Louise ne trouva rien à répliquer et se remit à pleurer de plus belle.
— Venez donc prendre la collation, dit-il finalement à l'enfant, désespérant de la consoler.
La collation était magnifique, dragées, bassins de confitures, pyramides d'oranges confites, bonshommes de sucre. Anne-Louise ne put desserrer les lèvres.
Elle remonta dans son carrosse à six chevaux, la rage au cœur contre le cardinal. Sans même remarquer la magnificence de son équipage, le nombre de ses serviteurs ni l'imposant cortège des quatre autres voitures de sa suite, perdue dans son chagrin, seule et toute petite parmi la foule qui s'empressait autour d'elle.
Novembre s'achevait. Ce matin, Anne-Louise avait assisté dans sa chapelle à l'office de Saint-André. Maintenant, dans l'embrasure de sa chambre, aux Tuileries, elle regardait tristement la pluie tomber, interminable, sur les jardins. Une seule visite à la cour en deux mois. Quel ennui ! Plus de petite maman, plus de petit mari.
Toujours bienveillante, Anne d'Autriche lui avait déclaré qu'elle était fâchée de la remontrance du cardinal, mais elle avait ajouté :
— Il est vrai. Mon fils est trop petit. Vous épouserez mon frère, le gouverneur des Flandres.
Anne-Louise se moquait bien de ce frère. Ce qu'elle voulait, c'était son gentil cousin, le dauphin.
Elle aurait dû le détester. Il ravissait à son père ses chances d'hériter du trône de France. Elle l'avait entendu dire plusieurs fois par son entourage. On ne se méfiait pas de sa présence, et elle, comme les enfants uniques, était à l'affût de tous les racontars.
— Maintenant qu'ils l'ont leur dauphin, il sera moins fiérot, le Gaston.
— Pour sûr, il sera moins à comploter, à tourner casaque sans cesse, à courir d'Orléans à Bruxelles. Uncoup avec sa mère, un coup avec son frère, toujours contre le cardinal. Le damné brouillon ! Il n'a plus d'avenir. Il n'intéressera plus les Espagnols, le beau Monsieur.
« Monsieur », c'était son titre au duc d'Orléans. Anne-Louise le savait, comme elle savait qu'elle était « Mademoiselle ». Brouillon, elle ne pouvait juger, mais beau il n'y avait qu'à le regarder ! Un parfait cavalier, la silhouette élégante, un visage à l'ovale fin qui rappelait celui de son père, Henri IV, des manières charmeuses, un amateur d'art passionné de beaux meubles, de tableaux et de littérature. Et drôle avec cela !
À son retour d'exil en 1.634 — elle avait sept ans —, il l'avait fait venir à Limours, près de Rambouillet. Et, avant qu'elle entrât, il avait ôté le cordon bleu, qui le distinguait de la foule des courtisans.
— Voyez qui de tous ceux-là est Monsieur, dit-on à la fillette.
Elle n'avait pas vu son père depuis quatre ans, mais sans hésiter elle courut lui sauter au cou. Il en fut touché d'une joie merveilleuse.
Il lui offrit maints divertissements comme il aurait fait à une dame, un ballet avec, pour l'accompagner, quantité de petites princesses et de fillettes de qualité. « C'est une danse de pygmées », murmuraient avec aigreur les spectatrices jalouses.
Soudain, au milieu de la danse, on apporta plusieurs cages remplies d'oiseaux blancs qu'on lâcha dans la salle. L'un d'eux s'empêtra dans la fraise, le col volumineux et tout plissé, de Clémence de Brézé. Celle-ci prit peur et se mit à pleurer. L'oiseau s'envola, la salle éclata de rire, la petite sanglota de plus belle. Anne-Louise était ravie d'un père qui inventait de tels amusements.
La première fois qu'il la reçut à son château de Chambord, il joua même avec elle. Depuis le haut du fameuxescalier il se mit à descendre tandis qu'elle montait. Cet escalier à claire-voie avait une originalité, deux personnes pouvaient, tout en se voyant, le
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