Mademoiselle
étrange état que celui des femmes ! Elles n'ont donc aucune liberté pour se marier ?
Et doucement, elle murmura :
— Et moi, qui épouserai je ?
Anne d'Autriche l'écouta avec bienveillance, sa fidèle Motteville près d'elle. Elle n'avait eu qu'à se louer de l'attitude de Gaston lors de la séance du Parlement où elle avait été proclamée régente de France au nom du petit roi. Le frère du défunt, l'oncle de l'enfant, aurait pu prétendre au titre de régent. Il n'en avait rien fait, se montrant même dans son discours plus favorable au choix de la reine que son cousin Condé. Cela méritait bien qu'elle s'intéressât à sa fille !
D'ailleurs, elle lui était attachée à cette petite. Elle n'oubliait rien de ses années d'enfance et de l'agrément qu'elle lui avait apporté. Seulement, elle était prise désormais par tant d'intérêts divers... La gloire du dauphin, avant tout. Puis celle de Philippe, le fils envoyé par Dieu deux ans après Louis. Le soin du royaume aussi. Et lesmoments irremplaçables passés auprès du ministre qui avait succédé à Richelieu, le rusé et indispensable Mazarin.
— Soyez en repos, ma belle, nous vous aimons. Quand il sera temps, nous nous préoccuperons de votre établissement. Le cardinal Mazarin, qui a ma confiance, s'y emploiera aussi. Pour une princesse comme vous, belle et sage — et si riche, aurait pu ajouter la reine —, les partis ne manqueront pas.
« Les partis. » Le cœur d'Anne-Louise se serra. Sa tante ne parlait donc plus de Louis comme de son « petit mari ».
Avec le temps, elle s'était confortée dans l'idée d'épouser son cousin, ou du moins son frère Philippe. Un choix dicté par le souci de sa grandeur.
Les seuls maris possibles pour elle, se disait la jeune fille. Qui, à part les enfants royaux, était digne de prétendre à sa main ? À la main de la petite-fille d'Henri IV, la première princesse du sang, la plus riche héritière d'Europe, souveraine des Dombes et de La Roche-sur-Yon, dauphine d'Auvergne, duchesse de Montpensier, de Châtellerault et de bien d'autres lieux ?
Un instant, la gêne se fit perceptible entre les deux femmes. Mme de Motteville, fine mouche, tenta une diversion.
— Mademoiselle, viendrez-vous demain au jardin de Renard ? Le temps promet d'être fort beau.
— Oui, Madame.
Et plutôt deux fois qu'une, pensa Anne-Louise.
Gilles Renard, simple laquais d'un évêque, s'était introduit dans les bonnes grâces de la souveraine, qui adorait les fleurs, en lui apportant chaque jour un bouquet nouveau. Avec l'autorisation de Louis XIII, il avait remplacé l'ancienne garenne où couraient les lapins réservésaux chasses royales par un jardin de fleurs rares, qui prolongeait les parterres des Tuileries.
La promenade en ce mois de mai y était agréable et l'une des préférées de la reine. La jeune fille qui accompagnait partout sa tante l'appréciait beaucoup. Cela la changeait des églises qu'Anne d'Autriche, depuis son veuvage, visitait chaque jour dans Paris.
Au jardin de Renard, elle respira avec délices le jasmin jaune et le lilas blanc plus délicat que le mauve. Elle admira les roses innombrables, écarlates de Provins, blanches de Damas, roses trémières pourpres et jaunes, à peine ouvertes, et les pivoines rouges au cœur énorme appelées aussi roses de Notre-Dame.
Quant aux tulipes, c'était une mode enragée de vanter leurs couleurs éclatantes ou panachées, et de les désigner par leurs noms, la Veuve, l'Hercule. Des acanthes aux feuilles noirâtres, grasses et déchiquetées, s'épanouissaient autour des fleurs, en soulignaient les brillantes couleurs. Leur beauté naturelle rappelait la beauté fameuse des acanthes de marbre qui décoraient les chapiteaux corinthiens. Un raffinement qu'Anne-Louise avait appris à goûter.
La cour de sa tante était maintenant fort imposante. Ses favoris, persécutés sous le régime de Richelieu, étaient revenus. Partout l'on célébrait la bonne régente, l'heureuse abondance. On ne se souciait pas d'afficher un regret factice de la mort du roi. Sans cesse des sérénades aux jardins des Tuileries ou sur la place Royale. La jeune fille n'en manquait pas une. Elle y prenait plaisir. Comme aux jeux d'amour qu'elle découvrait dans l'entourage royal.
Les intrigues, plus ou moins étouffées, les billets galants faisaient fureur. Anne-Louise s'appliqua à copier quelques passages d'un de ces billets tombé de la poched'un amoureux
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