Mademoiselle
Paris son office de pourvoyeuse de louanges. Elle submergeait le gazetier Loret de gratifications. Dans sa gazette hebdomadaire, il inondait ses lecteurs d'éloges de la princesse, empêchant ainsi qu'on l'oubliât.
Tout en restant prudert, il redisait, sans évoquer les raisons de son absence, ses regrets qu'elle ne fût plus là : « Quel désastre que la cour fût privée de ce bel astre ! » Il était intarissable sur son esprit, son port de tête incomparable, son allure de déesse. Il se risquait à de fréquentes allusions, discrètes bien sûr, concernant son courage, ses actions héroïques. Il n'omettait ni les travaux d'aiguille, ni les embellissements exécutés à Saint-Fargeau, évoquait les maladies de Gogo-Souris.
De temps en temps, Loret mentionnait dans ses colonnes les sommes importantes qu'il avait reçues de Mademoiselle. Au cas où cela donnerait l'idée à quelque autre personne riche de souhaiter lire son éloge dans sa gazette...
Parmi les visiteurs, il y eut les sympathisants, ceux qui avaient eu à souffrir comme elle de la tyrannie du Mazarin. Les oisifs, rares, qui prenaient le temps de voyager et de découvrir les provinces de France. Les curieux, les plus nombreux. Comment réagissait la princesse à cet exil qui se prolongeait, quelle mine faisait-elle ? Les calculateurs, enfin. Fatalement, la cousine du roi reviendrait un jour à la cour. Elle les récompenserait alorsde leur fidélité affichée, et avec sa fortune, les récompenses pourraient atteindre des sommets.
Rares furent les vrais fidèles. Presque tous se défilèrent, comme se défont les perles d'un collier qui se rompt.
Que la défection de Lulli lui fut cruelle ! Son baladin, c'était le surnom qu'elle lui donnait, voulait être plus que cela. Un vrai musicien. Danser ou jouer du violon dans un château perdu n'arrangeait pas sa carrière. Chez elle, il s'était formé à la vie de cour, il s'était mis au goût du jour, au goût de la France. Bientôt on ne l'appellerait plus Lulli, à l'italienne, mais Lully. Il y comptait, il le lui avait dit.
Pour cela, il devait quitter Saint-Fargeau, retourner à Paris, abandonner sa maîtresse au plus vite pour ne pas avoir l'air de prendre son parti dans ses querelles avec le jeune roi.
Quand Jean-Baptiste était là, Anne-Louise dansait follement avec Claire et ses visiteuses. Il animait n'importe quelle réunion. Il était la musique, la joie. Avec son départ, la musique et la joie s'en furent aussi. Même si les violons grassement appointés raclaient toujours leurs instruments.
En revanche, quand débarquèrent la Fiesque et sa belle-mère, un jour d'avril, et qu'elles annoncèrent leur intention de s'installer à Saint-Fargeau, l'émotion envahit Anne-Louise. Se pouvait-il ? Le passé n'était donc pas aboli ?
Avec Gillonne, sa maréchale de jadis, c'étaient les acclamations d'Orléans, le battement des tambours, la gloire, qui entraient dans le château de l'exil. Avec la vieille gouvernante même, les souvenirs les plus désagréables s'estompaient. Il ne restait qu'une impression d'enfance, de révolte juvénile, de rires finalement. Comme elle leur était reconnaissante d'être venues !
Il ne lui fallut pas longtemps pour s'apercevoir queles deux femmes se réfugiaient chez elle par nécessité. La vieille souffrait d'une pourriture avancée des intestins. L'odeur dans sa chambre était insupportable.
Quant à la jeune, sa position était devenue intenable à la cour. Non content de s'être affiché pour Condé pendant la Fronde, son mari était parti vivre en Espagne, à la solde des ennemis, définitivement. Cela n'empêcha pas Gillonne de s'installer à Saint-Fargeau en pays conquis, invitant de sa propre initiative d'anciennes amies, guillerettes comme elle, et de se lancer avec une ardeur puérile dans des représentations de comédies pastorales ou satiriques.
Elle vantait certaines femmes dont on commençait à parler à Paris, les précieuses comme on les appelait, louant leurs manières recherchées de parler et de se vêtir, leur goût immodéré de se distinguer des autres, leur mépris des hommes.
- Comme elles sont ridicules, ripostait Anne-Louise. Tout est caricatural chez elles, outré. Précieuse, oui, je le suis moi-même par mon esprit, mon nom, ma richesse si l'on veut. Mais je ne vais pas pour autant étaler une différence de mauvais aloi, ni jeter le mariage aux orties. Je sais ce que je suis, ce que je vaux.
Et les
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