Mademoiselle
aiguilles pour tromper, en cousant, les désagréments de l'hiver. Des ballots si volumineux qu'on en parla dans tous les villages alentour. Mais à la longue, comme à Libourne jadis, la tapisserie l'ennuya.
Elle eut la fantaisie d'avoir des chevaux anglais. Elleen montait régulièrement deux et faisait travailler les autres sous ses yeux, ou les montrait à ses visiteurs. Jusqu'alors, elle n'aimait pas les chiens. Mais Claire avait une belle levrette noire, grande et élégante. Quand l'animal mit bas ses petits, Anne-Louise eut l'envie d'en apprivoiser un. Bientôt Gogo-Souris ne la quitta plus.
Alors elle acheta une meute entière de chiens anglais. Comme ceux de leur race, ils étaient dressés à courir très vite, trop pour que des femmes montant en amazone puissent les suivre. Heureusement les bois, nombreux autour de Saint-Fargeau, ralentissaient leur allure, et la jeune femme s'amusait à lancer son cheval à leur suite.
Dans sa retraite, elle misa beaucoup sur l'écriture. Bien sûr, elle n'avait pas grand monde avec qui correspondre. Les gens de cour, tétanisés par leur roi, restaient muets. Son père aussi. Condé lui adressait parfois un mot de remerciement pour ses actions passées. C'était tout. Et Charles, que faisait Charles ? Lui qui parlait si mal, peut-être écrivait-il bien ? Elle sourit tristement, elle ne risquait pas d'en juger...
Elle évita une grande flaque d'eau, et se rappela son plaisir à inventer des poèmes ou de courts romans, à envoyer chercher, en grand secret, un imprimeur à Auxerre, à lui attribuer une vaste pièce au château et à le voir imprimer ses « ramassis », comme elle disait à Claire et à Préfontaine, ses complices.
Préfontaine a été parfait, songeait-elle. Pour tout. Il a mis de l'ordre dans les comptes de mes domestiques. Il a senti aussi combien l'écriture me faisait oublier ma misérable situation.
Il m'a poussée à entreprendre mes mémoires. À raconter ce que j'ai vécu déjà. Non pas pour me justifier, ni pour condamner quiconque. Mais pour que mon passé existe sous ma plume. Trouver les mots... Cela medemande des efforts, longs, douloureux parfois, bénéfiques enfin puisqu'ils me font oublier le présent.
L'humidité la pénétrait. Elle approchait du château. Dans son désir de l'aménager, elle s'était plu à jouer les maîtres d'œuvre. Elle qui ne comptait jamais, elle avait voulu savoir le prix des briques, du plâtre, de la chaux, de la journée d'un ouvrier. Elle s'était même découvert des talents d'architecte.
Par précaution, elle en avait recruté un, de grande réputation, Le Vau. Il transforma l'antique maison, sans en défigurer l'originalité, et bâtit dans la cour gigantesque l'immense perron semi-circulaire qui conduisait directement au premier étage. Là, d'un vestibule ouvert comme une loggia italienne, partaient les divers appartements, la chapelle, une grande galerie.
Anne-Louise y avait fait installer un billard pour prendre de l'exercice même quand le temps était pluvieux — c'était souvent ! Et recueilli une trentaine de portraits de ses plus prestigieux ancêtres pour les accrocher dans une autre galerie, interminable. La gloire de Mademoiselle !
Grâce aux meubles apportés des Tuileries, la vieille forteresse de brique prit à l'intérieur des allures princières. Anne-Louise retrouvait dans ses appartements sa chaise à la poupée et son Jeune Homme au lézard. Elle avait insisté pour avoir un cabinet de travail, son repaire, son royaume de l'imaginaire. Le Vau l'installa dans une des tours, et l'on ne pouvait y accéder que par sa chambre.
Elle commença à gravir le perron du château. Elle était jeune, les vingt marches ne lui faisaient pas peur...
Sitôt qu'ils l'aperçurent, les domestiques s'empressèrent. Intendants, femmes de chambre, cochers, palefreniers, maîtres d'hôtel, jardiniers se massèrent sur les degrés. Il y en avait trop ! Elle se sentait horriblement seule. Encore heureux que les musiciens aient gardé leursviolons à l'abri du serein et ne soient pas sortis. Elle ne voulait pas les entendre. Elle voulait pleurer. Sa gorge lui faisait mal à force de contenir ses larmes.
Elle se dirigea vers sa chambre, mais s'attarda un instant dans une salle aux belles proportions, destinée aux visiteurs. Au début, ils avaient été nombreux à se déplacer pour venir la voir. La première année surtout.
La Picarde, restée à son service, remplissait correctement à
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