Mademoiselle
discussions sur la valeur de la femme de s'éterniser dans le château bourguignon.
Gillonne me distrait parfois, reconnaissait Anne-Louise, mais je déteste son art de faire à chaque instant des querelles pour des riens. C'est une intrigante. Et je déteste encore plus l'emprise qu'elle exerce sur Claire. Elle la détourne de moi.
Là, le bât blessait douloureusement. Pourquoi était-elle seule en ce morne après-midi ? Pourquoi Claire, sa douce amie, sa compagne fidèle ne se trouvait-elle pas auprès d'elle ? Parce que Gilonne la retenait dans sachambre, lui essayait des pommades nouvelles ou des fanfreluches hideuses, lui égrenait des histoires lestes. Anne-Louise le savait.
Elle avait en horreur leur manière de pouffer à table comme des collégiennes. Et sans la mettre dans leurs confidences. Avec elle, évidemment, il n'y avait pas de rire à partager, seulement la tristesse d'un atroce exil. Qui finirait quand ? Personne ne pouvait le dire. Quel malheur !
Anne-Louise quitta la salle destinée à réunir des amis. Pas d'amis. Personne. Que la foule des domestiques qui s'affairaient à allumer les innombrables lustres dorés de ce château perdu dans les bois, cerné par le brouillard.
Tiens, quelqu'un se trouvait dans son antichambre ! Claire ? Elle s'était donc trompée ? Son amie ne s'amusait pas avec Gillonne ? Elle l'attendait ? Depuis longtemps sans doute. Elle avait tellement traîné dehors, malgré le mauvais temps.
Claire se leva, souriante.
- Un courrier à cheval vous a apporté un message.
Anne-Louise examina le cachet de cire apposé sur les lacets de soie brune qui fermaient les feuilles de papier. Elle vit les armes de Gaston d'Orléans.
— Vite, mes ciseaux d'argent pour couper les lacets. Une lettre de mon père. Enfin !
13
Claire
C'était une lettre d'affaires, des plus sèches. Le duc l'avait datée de Blois. Il n'était toujours pas retourné à Paris.
Pourtant Mazarin souhaitait qu'il y vînt. La présence de Gaston à la cour conforterait l'image qu'il voulait donner d'une France unie, enfin sortie des querelles de la Fronde. Anne-Louise n'avait qu'à lire les gazettes où le ministre évoquait « ce cher Gaston ».
— Mais la reine lui garde rancune de ses révoltes, et Louis nourrit une haine tenace envers son oncle. J'en suis sûre. Hélas, c'est encore plus vrai pour moi, soupira-t-elle en se tournant vers Claire. J'ai perdu la tendresse de ma tante. Je n'ai plus jamais reçu d'elle le moindre message.
« D'ailleurs, continua-t-elle, je connais mon père. Il ne souhaite pas vraiment rentrer à Paris. Il mène à Blois une vie selon son cœur, dans son château préféré. Il jouitdu faste de sa petite cour. Honoré dans les villes de son apanage, entouré de sa femme et de ses filles chéries.
— Il a même repoussé la permission que lui donnait la reine de se rendre à Reims pour le sacre du petit roi, remarqua Claire.
— Il vieillit, il ne court plus le guilledou, il s'assagit. Depuis qu'il a failli perdre sa Marguerite, à quarante ans, d'une grossesse difficile, il est entièrement sous la domination de sa femme. Et sa femme n'est qu'une demoiselle de Lorraine. Elle n'aime pas vivre à la cour de France.
Claire sortit. Anne-Louise relut le message. Pas un mot de tendresse.
« Mademoiselle, les papiers de votre compte de tutelle n'ont point encore été signés. Vous êtes majeure. Je veux en finir au plus tôt et me débarrasser du souci de vos affaires. Vous devrez venir me voir à Blois pour les derniers accommodements. Nous ratifierons ensuite la transaction à Orléans, où se trouve la faculté de Droit la plus compétente du royaume. »
Il écrivait à sa fille, et c'était tout ce que lui inspirait Orléans ! Une faculté de Droit compétente ! Aucun rappel du passé, du dévouement, de l'audace de la jeune fille aux portes de la ville !
Signer les papiers, vite dit. Il fallait auparavant que le duc lui rendît compte des dépenses engagées, de l'encaissement des divers baux et rentes, du bien-fondé des ventes, abandons et placements éventuels, bref des actes qu'il avait accomplis en son nom pendant sa minorité.
Blessée par le ton de la lettre, Anne-Louise convoqua d'urgence Préfontaine. Elle voulait qu'il lui expliquât tout de ses affaires.
- Je sais les ragots que l'on répand sur votre gestion. Gillonne de Fiesque a même inventé une lettre où Condé aurait souhaité que je me méfie de vous. Je vousfais
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