Mademoiselle
pour ce rôle. C'est votre grand-mère, la mère de la première femme de Monsieur. Elle peut prendre à cœur vos intérêts.
Elle l'aurait pu en effet. Mais, trop accaparée par les dix enfants qu'elle avait eus en secondes noces avec le duc de Guise, elle n'avait jamais noué de relations avec cette petite-fille.
En revanche, elle était en fort bons termes avec Gaston, dont la seconde épouse était cousine des Guise. Elle n'entendait pas y renoncer pour une orgueilleuse qui l'avait toujours ignorée.
Drôle de grand-mère ! Pour commencer, elle demanda à sa petite-fille des pouvoirs exorbitants. Anne-Louise devait abandonner entre ses mains tous ses papiers concernant l'affaire, accepter d'avance les hommes de loique Mme de Guise jugerait bon d'engager et, sans les avoir lus préalablement, signer les actes qu'elle lui soumettrait.
Cette dernière clause parut captieuse à la jeune fille. Mais puisque son père semblait y consentir, et puisque des juges étaient mêlés à l'affaire...
Les premières nouvelles furent rassurantes. Le bien hérité de sa mère étant énorme — un revenu annuel de plus de cinq cent mille livies — Monsieur, qui en avait joui pendant la minorité de sa fille, devait lui rendre des sommes considérables. Il fut convenu qu'il s'en acquitterait notamment en payant ses dettes.
Pourtant, des bizarreries apparurent peu à peu dans les comptes. Sous prétexte de règlements différents selon les provinces du royaume, les Dombes par exemple, on diminuait le poids des charges de Monsieur. Et quand Mademoiselle écrivait pour demander quelque éclaircissement aux trois juges choisis par sa grand-mère, et qu'elle ne connaissait pas, ceux-ci lui répondaient : « Il y a beaucoup d'articles à juger. Nous remettons nos explications à une autre fois. »
Ou : « Nous n'avons pu consulter Mme de Guise. Elle avait la migraine. »
Ou encore : « Ces papiers-là ont été perdus. Nous ne les retrouvons pas. »
Cela mettait Anne-Louise en fureur. Bientôt, elle ne compta plus les coups bas ni les intimidations de la partie adverse, les courriers inutiles envoyés exprès à toute heure du jour et de la nuit pour la déstabiliser, le choix déplorable, comme intermédiaire, de l'évêque d'Embrun, acquis d'avance au duc. Elle reçut même des menaces d'enlèvement par les troupes de Monsieur stationnées en Nivernais.
Puis, plus sournoisement, l'on s'attaqua à son entourage. Mais elle ne s'en aperçut pas.
Par un jour glacial de janvier, la vieille Fiesque vintà mourir, laissant dans sa chambre une puanteur telle qu'il fallut, malgré le froid, tenir les fenêtres ouvertes une semaine.
Dans sa lettre de condoléances, Mme de Guise rappela que la défunte avait été gouvernante de Mademoiselle et se dit chargée par Monsieur de lui procurer une remplaçante. Un moyen habile, dans la partie qui se jouait, d'introduire auprès d'elle une personne qui la surveillerait et rendrait compte de ses actes à sa grand-mère et à son père.
- Ridicule ! gronda Anne-Louise. Il y a longtemps que je n'ai plus besoin de gouvernante.
Claire se tenait à ses côtés. Et Mademoiselle eut brusquement l'idée de se servir d'elle pour contrer sa grand-mère.
— Vite, écrivez sous ma dictée. Nous allons répondre à Mme de Guise.
Il lui fallait, expliqua-t-elle, non pas une gouvernante, mais une dame d'honneur. Depuis des années, depuis que Mme de Montglas l'avait quittée pour suivre son mari dans son gouvernement, elle n'en avait qu'une, la jeune Fiesque. Une deuxième était indispensable. Pourquoi pas Claire de Frontenac ? En vérité, elle en faisait depuis longtemps office.
— Voyez, ma belle, vous êtes pour de bon ma dame d'honneur, annonça-t-elle triomphalement à Claire quelques jours plus tard. Voici la réponse de ma grand-mère. Elle approuve. Selon l'usage, elle a sollicité l'autorisation de mon père. Il l'a accordée. Je suis aux anges ! s'exclama-t-elle en se jetant dans les bras de son amie.
Hélas, la malheureuse ne se doutait pas de la rouerie de ses proches. Mise au courant du projet de Mademoiselle, Gillonne avait organisé une véritable machination.
Maintenant qu'elle était débarrassée du fardeau de sa belle-mère, elle ne voulait pas user ce qui lui restait dejeunesse dans cet horrible Saint-Fargeau. Pour retrouver les bonnes grâces de la cour et regagner Paris, elle avait choisi le père contre la fille, misé sur les Guise et Monsieur plutôt que
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