Mademoiselle
chargés de la donation. Pour eux, du moins pas de problème. Colbert avait proposé de superviser les actes.
— De toute façon, rien n'est si aisé que de les dresser, dit Anne-Louise en regardant tendrement Lauzun. Je veux tout vous donner.
Enfin, elle se sentait légère et heureuse. Elle abandonnait ses millions à l'homme qu'elle aimait.
Elle apprécia que les trois ministres du roi vinssent au Luxembourg. Elle s'amusa beaucoup des nombreuses dames qui se jetèrent à ses pieds pour la remercier d'épouser Lauzun.
— Que vous êtes adorable ! Que de grâces n'a-t-on point à vous rendre !
Elles avaient été les maîtresses de son futur époux et, sans rancune, se réjouissaient de sa bonne fortune, espérant peut-être en tirer quelque profit...
Ne sachant trop que leur répondre, Anne-Louise leur dit à toutes, sans réfléchir :
— Je sais bien que vous l'aimez fort.
Puis elle éclata de rire.
Ce mercredi-là, il régnait chez elle une ambiance de folie. Les dames lui appreraient des choses qu'elles nevoulaient pas qu'elle sût, et elle les remerciait d'une affection dont elle aurait dû être fâchée. La tête leur tournait. Elles se grisaient, et Mademoiselle avec elles, de l'énormité des sommes qui passaient entre les mains d'un cadet de famille, là dans ce palais du Luxembourg, jadis demeure de Gaston duc d'Orléans, et qui allaient changer la vie de ce séducteur ambitieux.
Le jeudi matin, autre chanson, nouveau retard. Les copies de la donation du mercredi n'étaient pas prêtes. Impossible de se marier ce jour. Impossible aussi le lendemain. À aucun prix, Anne-Louise ne s'engagerait pour la vie un vendredi.
Elle vit dans le retard un mauvais présage. Son humeur tourna. Elle était sombre. Elle avait mal dormi. Pourquoi la veille, après les signatures, Lauzun avait-il souligné qu'il garderait son appartement de fonction au Louvre pour être plus près du roi, plus à même de remplir son office promptement ? Pourquoi avait-il réaffirmé son besoin de solitude et de silence ? Pourquoi avait-il refusé une nouvelle fois de venir dans sa chambre ?
Elle voulait lui montrer enfin sa chaise à la poupée, son Jeune Homme au lézard. Maintenant, la chaise était en face d'elle, vide. Le garçon dans son cadre lui semblait méchant, cruel même.
Tout le jour, elle demeura angoissée, attentive aux rumeurs contradictoires qui circulaient dans son antichambre.
Le roi avait-il ou non envoyé une lettre aux ambassadeurs étrangers pour faire part du mariage de sa cousine et montrer, à la face de l'univers, son approbation ? Anne-Louise en doutait. Elle ne savait plus que penser. Son cousinavait donné son consentement. Il ne pouvait reprendre sa parole.
Hélas, les bruits étaient contradictoires mais vrais. Louis avait fait volte-face. De guerre lasse, il avait cédé aux supplications d'Anne-Louise, mais il y avait eu trop d'agitation autour de la donation. En apprenant l'immensité des biens engagés, il s'était ravisé.
Les millions de Mademoiselle, ces millions dont il entendait parler depuis son enfance, ne pouvaient aller dans la poche d'un gentilâtre à la noblesse douteuse, son favori, certes, et dévoué, mais ambitieux et malhonnête. Et qui montrait trop le bout de l'oreille en tentant de capter les biens d'une demoiselle sur le retour. Le vol des millions Montpensier, un grand roi ne pouvait le tolérer.
Lauzun arriva dans l'après-midi au Luxembourg. Mademoiselle s'efforça de montrer quelque gaieté, de vérifier les derniers détails du mariage qu'il fallait repousser au samedi.
— Nous dînerons au Luxembourg, et le soir vous irez au souper du roi.
— Vous verrez, assura Lauzun, que vous pourrez le dimanche dîner chez la reine à votre ordinaire. Elle se sera calmée.
Il se trouvait fort enrhumé et ne voulut pas rester à souper. Anne-Louise le regarda partir avec un serrement de cœur et un pressentiment pénible. À huit heures du soir, à bout d'impatience et d'inquiétude, elle vit entrer un officier du roi. Celui-ci l'envoyait quérir d'urgence. Qu'elle aille droit à la chambre royale en passant par la garde-robe.
Le temps était exécrable. À sa descente de carrosse, une pluie mêlée de neige la fit frissonner. Et alors qu'elle attendait dans l'antichambre, elle aperçut nettement quelqu'un se glisser chez le roi, quelqu'un qu'on ne voulaitpas qu'elle vît. Grand, maigre, un nez busqué, un profil de rapace, la silhouette de l'homme ne
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