Mademoiselle
le mariage, comme on le lui conseillait, afin de le conclure ce lundi.
Puis elle s'amusa de voir que Lauzun tenait à son jeudi, qu'il avait envie d'un mariage « à la grande ». Elle le traita d'enfant, hésita. Il insista beaucoup. Elle céda.
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Les gens se partagèrent en deux camps, pour ou contre le mariage. La meute des curieux se déchaîna.
Le mardi, le salon du Luxembourg fut envahi par desfemmes de la noblesse et des épouses de conseillers, comme celle d'Olivier d'Ormesson. Elles venaient en foule féliciter la princesse. La marquise de Sévigné, éclatante en velours bleu de France, ses boucles blondes secouées par l'excitation, se précipita vers le fauteuil de Mademoiselle et s'écria :
— Je viens d'apprendre la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui...
Toutes alentour se taisaient et écoutaient bouche bée la Sévigné. Tant sa réputation d'esprit, son talent pour la conversation, ses trouvailles de mots étaient connus dans les salons. Elle débita sa tirade sans reprendre souffle. Ce fut le clou de l'après-midi.
Quand la salle se fut vidée, Anne-Louise appela Lauzun :
— Je suis inquiète. En même temps que leurs compliments, ces dames ont perfidement laissé filtrer quelques nouvelles alarmantes. Mon cousin Philippe est enragé contre moi. À l'en croire, je déshonore la famille. Pour Marie-Thérèse, n'en parlons pas. Nous connaissons ses sentiments.
Elle poursuivit :
— Et voilà que les Guise au grand complet m'attaquent. Ma belle-mère, trop heureuse de me nuire, a pris la tête de leur cabale. Sa fille, son gendre, ses cousins, ma tante Marie de Guise, tous ces Lorrains m'insupportent. Ils ne cessent de me critiquer. Ma belle-mère aurait même l'intention d'écrire au roi pour empêcher notre mariage. Elle me tue.
— Calmez-vous, ma chère. Son frère et sa femme ne gouvernent pas le roi. Encore moins la veuve de son oncle. Vous l'avez fort bien dit, tant que le roi est pour nous...
— Savez-vous que le prince de Condé et son fils assiègent la reine pour l'accabler de récriminations ? Ils crient à la mésalliance. Comment Condé peut-il être hostile à mon mariage, à moi qui lui ai sauvé la vie ! Son orgueil de prince du sang l'aveugle. J'enrage.
— Reprenez-vous, je vous prie.
— Mais je ne sais même pas où me marier. Qui nous accueillera ? Si nous avions célébré les noces hier soir, en secret, nous aurions pu être reçus chez mon cousin. Maintenant, aller au Louvre nous marier en cérémonie, nous ne le pouvons pas. Vous le comprenez ?
— Je ne le comprends que trop. Je suis le valet de votre cousin.
— Ce n'est pas ce que je veux dire... En outre, vous ne voulez pas vous rendre chez moi, à Eu ou à Saint-Fargeau, de peur de manquer votre service.
— Assurément. Quitter le roi quatre jours, cela est impossible. Il faut un lieu d'où je puisse rentrer le lendemain.
On annonça Mme Colbert.
— Je n'ai pu venir hier, s'excusa-t-elle. Mais je vous conjure, Mademoiselle, de hâter votre mariage. M. de Lauzun a beaucoup d'envieux. Il faudrait même qu'il ne se déplaçât que sous bonne escorte. En l'état de bonheur où vous vous trouvez, il faut tout craindre. Le duc de Montausier le disait à mon époux, il y a une heure à peine. Et si vous ne savez où faire la cérémonie, partez donc chez les Richelieu à Conflans. Ils y ont une maison propre et bien meublée.
À peine consultée, Mme de Richelieu fit dire par un homme de confiance qu'à son grand regret elle ne pouvaitrecevoir Mademoiselle à Ccnflans. Elle était dame d'honneur de Marie-Thérèse et soumise à sa maîtresse. « Pardonnez-moi, écrivait elle à la princesse. La reine est si fort déchaînée contre votre projet qu'elle m'interdit de vous prêter ma maison. »
— Nous irons donc à Charenton chez le duc de Créquy. Il a parlé à mon cousin au nom de la noblesse de France. Lui du moins ne nous repoussera pas. Et puis ne nous embarrassons plus de ces détails, lança Anne-Louise, excédée.
Le défilé des gens venus la complimenter continua le mercredi, avant l'arrivée des hommes de loi
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