Marcel Tessier racontre notre histoire
Puis on se raidit: en 1890 on oblige les écoles dites françaises à suivre le programme des écoles publiques anglaises et à utiliser les manuels de langue anglaise. On accorde cependant l’autorisation d’enseigner la lecture, la grammaire et la composition françaises. Ensuite, en 1910, les questions de religion et de langue deviennent carrément politiques. La Protestant Protective Association, les orangistes et aussi le clergé catholique irlandais exercent des pressions de plus en plus fortes sur James Witney, le chef du gouvernement conservateur. On institue finalement une enquête sur les écoles séparées et on aboutit au Règlement XVII, une infamie qui limite à une heure par jour l’usage du français dans les écoles primaires; et un système «d’espionnage» étroit doit assurer l’application de la loi. Sans se tromper, on peut dire de ce règlement qu’il légalise ni plus ni moins la suppression du français dans l’enseignement.
On s’en doute, les Franco-Ontariens s’y opposent avec acharnement. Leur Association d’éducation, fondée en 1910, monte aux barricades. On organise une résistance civile. On crée des écoles libres où l’on enseigne en français; les francophones assument les dépenses, les instituteurs et les institutrices travaillent sans salaire. Les commissaires, menacés d’emprisonnement et d’amendes sévères, ordonnent aux élèves de quitter les écoles lorsque les inspecteurs du gouvernement se montrent le bout du nez. Les enfants manifestent par milliers. Les mères de famille protègent les institutrices en repoussant la police à coups d’épingles à chapeau. Les Québécois apportent leur appui. Des quêtes publiques et un boycottage des produits ontariens sont organisés. Ce conflit aura des répercussions politiques importantes, puisque le Québec donnera son appui aux libéraux à trois reprises et empêchera les conservateurs de prendre le pouvoir à Ottawa.
Il faudra attendre 1927 pour que le Règlement XVII soit remplacé par la circulaire n o 46 qui reconnaît l’égalité de l’enseignement du français et de l’anglais dans les écoles bilingues au primaire. Au secondaire, l’enseignement continuera d’être donné en anglais.
POURTANT, L’HISTOIRE…
Pourtant, nous dit Rosaire Morin, on se souvient que c’est Champlain qui, en 1613, met le premier les pieds en Ontario. Puis ce sont les Jésuites français qui établissent la célèbre mission huronne à la baie Georgienne. C’est Simon-François Daumont, sieur de Lusson, et Nicolas Perrot qui fondent Sault-Sainte-Marie en 1671. Tout un chapelet de forts est établi par des Français: Frontenac en 1673, Pontchartrain ou Detroit en 1701, Sainte-Anne et Saint-Louis au lac La Pluie en 1731, Saint-Charles au lac Des Bois en 1732. Mais la Conquête de 1760 a tout effacé.
64 UNE SEMAINE SAINTE SANGLANTE
Q uébec, 1 er avril 1918. C’est le lundi de Pâques. Dans la rue, quatre hommes sont étendus, tués par des soldats venus de Toronto. C’est Henri-Edgar Lavigueur, le maire de Québec, qui a demandé l’aide de l’armée. Et le général Louis-François Lessard a détaché 1180 militaires dans la ville. Pourquoi?
Replaçons-nous dans le contexte. Robert Borden est devenu premier ministre du Canada en 1911. Il a remplacé Wilfrid Laurier. En 1917, en pleine guerre mondiale, les effectifs militaires, malgré la campagne de recrutement, n’augmentent pas. Et les 5500 soldats qui se sont enrôlés cette année-là ne suffisent pas à remplacer les 13 400 hommes morts au combat. Borden songe donc à la conscription.
Mais ce projet divise profondément le pays. Les francophones, par les voix d’Henri Bourassa et de Wilfrid Laurier, s’y opposent. Les anglophones, représentés eux aussi par leurs leaders, la réclament. Les Canadiens anglais l’emportent: à la suite d’un vote à la Chambre des communes, le gouvernement fédéral adopte une loi mobilisant tous les hommes célibataires ou veufs sans enfant à charge, âgés de 20 à 45 ans. Laurier met Borden en garde: «Cette loi n’est pas nécessaire et elle est même préjudiciable au Canada, car elle provoquera des divisions malheureuses au sein du peuple canadien.»
Borden songe à une consultation populaire. En adoptant la «loi des élections en temps de guerre», qui accorde le droit de vote aux femmes et aux parents des soldats déjà sous les drapeaux, il met sur pied un gouvernement d’union, récupérant de
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