Marco Polo
mauvaise humeur, ne fera que
renforcer l’ardeur guerrière de ce peuple.
— Comment le saurais-je, orlok ?
— Et savez-vous pourquoi Kubilaï tient à ce que
je fasse ce que précisément je me suis ingénié à ne jamais faire, pénétrer
assez loin dans le Yunnan pour que mes flancs et mon arrière-garde soient
vulnérables ?
— Je l’ignore, orlok. Le khakhan ne m’a
rien confié de ses décisions en matière de stratégie ou de tactique.
— En tout cas, vous devriez pouvoir me renseigner
sur ce point, Polo. Il ajoute dans un post-scriptum que vous m’apportez une
arme nouvelle.
— Oui, orlok. Il s’agit d’un dispositif
qui devrait vous permettre de poursuivre vos opérations en évitant un grand
nombre de pertes.
— Les soldats sont là pour se faire tuer,
argua-t-il d’un ton péremptoire. Quel est cet appareil ?
— Il s’agit d’une arme qui fait un usage offensif
de la poudre appelée huo-yao.
Il s’enflamma, un peu comme s’il avait été fait de
cette poudre lui-même.
— Vakh ! Encore
cette histoire à dormir debout ?
Il fit grincer ses épouvantables dents et proféra
d’une voix de tonnerre ce que je pris pour un terrible blasphème :
— Par l’antique selle puante et maculée de sueur
du dieu Tengri ! Chaque année ou presque, un illuminé surgit pour proposer
de remplacer l’acier froid par de la fumée brûlante. Et ça n’a jamais
marché !
— Cette fois, cela devrait fonctionner, orlok, affirmai-je. C’est un huo-yao totalement nouveau.
Je hélai un des chabis qui rôdaient autour de nous et
le priai de rapporter de mes appartements l’une des grosses boules de cuivre.
Tandis que nous l’attendions, Ukuruji acheva la
lecture de la lettre et s’exprima en ces termes :
— Je crois avoir deviné les intentions tactiques
de mon royal père. Jusqu’ici, vous avez échoué à bloquer les Yi dans une
bataille décisive, parce qu’ils passent leur temps à s’évanouir dans leurs
défilés montagneux. En admettant que vous progressiez assez loin pour pousser
les Yi à vouloir vous encercler, ils seraient bien forcés de descendre de leurs
cachettes pour se rassembler autour de vos flancs ou sur vos arrières.
L’orlok semblait exaspéré
par l’explication entamée, mais, par égard pour le rang de son vis-à-vis, il
laissa le wang poursuivre :
— Vous verriez alors tous vos ennemis Yi
regroupés et exposés, à distance de leurs terriers et à portée d’une attaque
lancée contre eux, n’est-ce pas ?
— Si le wang veut bien me le permettre,
interrompit l’orlok, tout cela est parfaitement vrai. Mais le wang vient
lui-même de mentionner le défaut d’une telle manœuvre. Je me retrouverais en
effet encerclé. Or, si je puis oser la comparaison, la meilleure façon
d’éteindre un feu, ce n’est pas d’aller s’affaler la croupe déculottée en plein
dessus.
— Hum, admit Ukuruji. Bon, eh bien... Supposons
que vous n’y aventuriez qu’une partie de votre armée et que vous gardiez le
reste en réserve... histoire de fondre sur les Yi dès qu’ils auront rassemblé
leurs hommes derrière vos premières colonnes...?
— Wang Ukuruji,
expliqua l’orlok patiemment. Les Yi ont beau être sournois et fuyants,
ils ne sont pas pour autant stupides. Ils savent la quantité d’hommes et de
chevaux que je possède, voire le nombre précis de femmes à la disposition de
mes guerriers ! Jamais ils ne s’aventureraient dans un tel piège sans
s’être assurés que j’y ai engagé la totalité de mes forces. Et quand ceci
serait fait... alors, qui se trouverait piégé ?
— Hum, murmura de nouveau Ukuruji. Il se figea
dans un silence pensif.
Le chabi revint, porteur de la boule de cuivre, et
j’exposai à l’orlok l’enchaînement de faits qui avaient conduit à sa
fabrication, et l’idée que le Maître Artificier avait eue du potentiel
militaire de cette invention. Dès que j’eus achevé, l’orlok grinça des
dents un moment, avant de me gratifier du même regard que celui qui avait
accueilli l’exposé tactique du wang.
— Laissez-moi pénétrer votre pensée, Polo, me
dit-il. Vous m’avez apporté douze de ces élégants colifichets, c’est bien
cela ? Maintenant, corrigez-moi si je me trompe. Selon votre propre
expérience, vous êtes en mesure de m’assurer que chacune de ces douze bombes
est susceptible de tuer deux personnes, à condition que ces dernières se
trouvent situées à côté
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