Marco Polo
d’éléphant et d’en
mesurer la circonférence. Tout le monde sait qu’une femme bien proportionnée
possède un torse dont la largeur équivaut exactement au double de la longueur
de son cou. Eh bien, c’est pareil pour l’éléphant, dont la hauteur prise à
l’épaule est précisément le double de la circonférence de son pied.
Dès que j’entendis les rabatteurs siffler et battre
les buissons devant nous, j’ajustai une flèche à la corde de mon arc. Et dès
qu’une silhouette épineuse déboucha d’un fourré et grogna dans notre direction
en faisant claquer ses défenses jaunâtres comme pour défier celles de notre
éléphant, je laissai filer mon trait acéré. Je touchai le sanglier ;
j’entendis le son mat de la flèche qui pénètre la chair et vis s’élever un
nuage de poussière lorsque sa pointe percuta la toison hérissée de l’animal. Si
j’avais utilisé une flèche plus lourde à pointe large, je pense qu’il serait
tombé au sol à l’instant. Mais, ayant anticipé un tir lointain, j’avais armé un
trait à pointe fine, destiné aux longues distances. Il perça très profondément
la peau du sanglier, mais n’eut pour effet que de le faire se retourner et fuir
au galop.
Sans attendre qu’on l’aiguillonne, notre éléphant se
lança à sa poursuite. Il le suivit avec autant d’aisance qu’un chien de chasse,
tandis que nous nous accrochions à la hauda ballottée en tous sens.
Impossible désormais de viser le fugitif avec précision ; je ne pouvais
que décocher un trait au petit bonheur, espérant qu’il toucherait quelque
chose. Mais le sanglier blessé, se rendant soudain compte qu’il fonçait droit
sur les rabatteurs, s’arrêta d’un dérapage dans le lit d’un ruisseau à sec, se
tourna vers nous, abaissa jusqu’au sol sa longue tête et darda sur nous deux
yeux injectés d’un sang rageur, étincelant sur ses quatre défenses incurvées.
Mon éléphant stoppa lui aussi d’une longue glissade, ce qui aurait sans doute
été assez comique à regarder s’il y avait eu un spectateur. Mais le mahawat et
moi, projetés hors du panier par-dessus la tête de l’éléphant, aurions tous
deux chuté rudement au sol si nous n’avions réussi à nous accrocher chacun à
l’une de ses oreilles, aux sangles de la hauda et à tout ce qui nous
était tombé sous la main.
Lorsque le pachyderme femelle se mit à incurver de
nouveau sa trompe en arrière dans ma direction, je souhaitai confusément
qu’elle eût en tête autre chose que me souffler une fois de plus dessus... Il
s’avéra que c’était le cas. Elle enroula son appendice nasal autour de ma
taille, me souleva de sa tête, me retourna en l’air et, comme si j’avais été
aussi léger qu’une feuille morte, me reposa sur mes deux pieds... entre elle et
le sanglier enragé qui s’ébrouait, piaffant et grattant le sol du sabot. Je
n’aurais su dire si la malicieuse créature l’avait fait intentionnellement pour
que le passager étranger soit placé aux premières loges face à la charge de la
bête en furie ou si elle avait l’habitude d’agir ainsi, de façon à mettre le
chasseur en position idéale pour infliger à sa proie le coup fatal. En tout
cas, si elle croyait m’avoir aidé, elle se trompait, car elle m’avait déposé au
sol sans armes, mon arc et mes flèches étant restés dans la hauda. J’aurais
pu tenter de me retourner, histoire de vérifier si ses petits yeux, au creux de
ses plis, étaient empreints de malveillance ou, au contraire, préoccupés de
l’issue du combat, les yeux d’un éléphant étant aussi expressifs que ceux d’une
femme ; mais je n’osai tourner le dos au sanglier blessé.
De l’endroit où je me trouvais, il me sembla plus gros
qu’une truie pleine, et j’ignore pourquoi, plus sauvage. Son groin noir
soufflait au ras du sol, juste au-dessus pointaient quatre défenses assassines
et, postés derrière, deux yeux rouges m’incendiaient, encadrés d’oreilles
touffues et frissonnantes, tandis que les lourdes épaules noires s’arquaient
avant la brusque poussée en avant. Je me saisis de ma dague et la brandis devant
moi, me jetant sur la bête la tête la première à l’instant où elle se ruait sur
moi. Si cet élan avait tardé d’un souffle, la manœuvre m’aurait été fatale. Je
tombai à cheval sur le long museau de l’animal et sur la bosse arrondie de son
dos, mais la bête n’eut pas le temps de me déchirer l’entrejambe
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