Marco Polo
manquait pas de porter, élégamment drapé en travers du garrot de sa monture,
l’un de ses guépards au pelage soyeux qu’il laissait filer dès qu’un petit
animal détalait devant lui. Le chita poursuivait, rattrapait et abattait
tout ce qui bougeait et rapportait docilement sa prise jusqu’au convoi. L’animal
ayant cependant la fâcheuse habitude d’estropier sa proie, un chasseur la
gardait dans un sac à part pour en émincer la chair à l’intention des rapaces
conservés dans les cages du palais. Lorsque Kubilaï avait choisi la hauda ou
le chariot, au moins deux de ses faucons étaient perchés près de lui, et il les
lançait dès qu’un petit gibier passait en courant ou en volant.
Derrière le khakhan, quelle que soit sa monture,
venait le train des courtisans, seigneurs et dames de la haute société
appareillés à peine moins royalement que le khan en personne. Selon le type de
proie recherché ce jour-là, ils transportaient des faucons encapuchonnés sur
leurs poignets protégés d’un gantelet ou étaient accompagnés de serviteurs qui
portaient leur lance ou leur arc, à moins qu’ils ne traînent en laisse leurs
chiens de chasse. Loin devant, les rabatteurs s’en étaient allés, tôt le matin,
et s’étaient disposés sur trois côtés, délimitant une aire vaste pour
déclencher au moment voulu une battue visant à effrayer le gibier (cerfs,
sangliers, loutres ou autres) vers le quatrième côté du terrain, en direction
des chasseurs qui approchaient.
Pour peu que le convoi de Kubilaï traversât l’un des
villages situés aux abords de son parc, les femmes et les enfants qui les
peuplaient se précipitaient sur le pas de leur porte pour pousser des « hai ! » d’encouragement. Ils entretenaient aussi constamment des feux pour pouvoir y
jeter des épices et de l’encens afin de parfumer l’air au cas où le khakhan
viendrait à passer par là. Vers midi, on se retrouvait au palais de bambou,
toujours installé en un endroit accessible, pour se restaurer et boire dans une
douce musique, puis faire un petit somme avant de repartir l’après-midi.
Lorsque la chasse s’achevait, en fonction de l’état de fatigue des participants
et de la distance qu’ils avaient parcourue, on s’en retournait au palais ou on
passait la nuit dans le palais de zhu-gan, suffisamment doté en chambres
pour y trouver un repos confortable.
Ali, mes quatre Mongols et moi-même arrivâmes à Xan-du
en milieu de matinée. Un majordome nous indiqua le palais mobile du khakhan,
que nous ralliâmes vers midi, alors que la troupe se prélassait autour du
repas. Plusieurs invités, m’ayant reconnu, me saluèrent, Kubilaï compris. Je
lui présentai Ali Baba comme « un citoyen de Khanbalik, l’un de nos riches
princes marchands », et Kubilaï lui fit bon accueil, n’ayant jamais vu par
le passé l’ancien esclave Narine en ma compagnie. Puis je lui annonçai que
j’étais porteur « de mauvaises et de bonnes nouvelles du Yunnan »,
mais il leva la main et m’arrêta :
— Rien du tout, coupa-t-il d’un ton ferme. Rien
n’est assez important pour interrompre une bonne chasse. Garde tes nouvelles
pour ce soir, lorsque nous serons de retour au palais de Xan-du. As-tu
faim ? (Il claqua des doigts pour demander un serviteur.) Es-tu
fatigué ? Préfères-tu te rendre au palais et nous y attendre en prenant un
peu de repos ou veux-tu brandir la lance avec nous ? Nous avons levé une
troupe de sangliers de taille appréciable et qui semblent particulièrement
retors.
— Eh bien soit, Sire. C’est avec plaisir que je
me joindrai à votre chasse. Mais il se trouve que je n’ai pas la moindre
expérience de la lance. Un sanglier ne peut-il pas s’abattre à l’arc, tout
simplement ?
— On peut tout tuer avec n’importe quoi, y
compris à mains nues. Et tu pourrais bien avoir à les utiliser pour achever un
sanglier. (Il se tourna et appela.) Hui ! Mahawat, préparez un
éléphant pour Marco Polo !
Ce fut ma première expérience à dos d’éléphant, et je
l’appréciai grandement. C’était infiniment plus agréable que monter un chameau,
bien que très différent d’une course à cheval. La hauda formait comme un
petit panier tissé de bambou, avec un banc sur lequel j’étais assis à côté du
conducteur d’éléphant, qui se nomme en effet mahawat. La hauda avait
deux parois latérales assez hautes pour nous protéger de la lacération des
plantes et autres
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