Marco Polo
est-ce
que vous avez aussi recours aux services d’un Caresseur pour les plus grands
criminels ?
— Oui, bien sûr ! Et c’est un maître en la
matière, vous pouvez m’en croire, répondit-il avec entrain. Mon propre fils,
dans le cadre de ses études de droit, se trouve en ce moment même en
apprentissage chez notre Caresseur. Histoire d’enseigner le métier au jeune
Fung, le maître lui fait depuis plusieurs semaines fouetter un gâteau.
— Vous dites ?
— Il existe un supplice appelé chou-da, qui
consiste à fustiger le coupable à l’aide d’une canne en bambou dont l’extrémité
est divisée en un fléau de langues multiples. Cet instrument est étudié pour
causer la douleur la plus terrible et endommager tous les organes internes,
mais sans causer de mutilations trop visibles. Aussi, avant d’avoir
l’autorisation d’infliger le chou-da à un être humain, le jeune Fung
doit-il apprendre à réduire un gâteau en bouillie sans rompre sa surface.
— Gèsu.. .
Je veux dire, intéressant.
— Bon, j’admets qu’il peut exister des
« caresses » plus en vogue chez les spectateurs qui viennent y
assister... Et d’autres moins, cela va sans dire. Tout dépend de la gravité du
crime commis. Cela peut se résumer à une simple marque au fer rouge au visage
ou, parfois, à une peine d’enfermement dans une cage. L’impétrant peut se voir
contraint de s’agenouiller sur les maillons coupants d’une chaîne ou
d’ingurgiter la potion de vieillissement immédiat ; les femmes aiment tout
particulièrement voir infliger ce châtiment à leurs semblables. Un autre parmi
leurs favoris est celui que l’on réserve à la femme adultère : on la
renverse sur le dos avant de lui faire couler dans la bouche de l’huile
bouillante ou du plomb fondu. Il existe aussi des supplices dont le nom suffit
à les décrire : le lit de noces, le serpent affectionné, le singe suçant
le jus de la pêche... Je dois modestement vous avouer que, tout récemment, j’en
ai inventé un nouveau, remarquable.
— Lequel ?
— Il a été administré à un pyromane qui avait
incendié la maison d’un de ses ennemis. Il avait hélas manqué sa cible, l’homme
étant à ce moment parti en voyage ; mais il avait fait griller vifs sa
femme et ses enfants. J’ai donc décidé de lui infliger un châtiment adapté à
son crime. J’ai demandé au Caresseur de lui bourrer les narines et la bouche de
poudre de huo-yao et de les sceller hermétiquement à la cire. Ensuite,
avant qu’il s’asphyxie, les mèches ont été allumées, et sa tête a explosé en
morceaux.
— Puisque nous en sommes au sujet des châtiments
adaptés, Wei-ni... (nous avions assez vite décidé de nous tutoyer et de nous
appeler par nos prénoms), lequel prédis-tu que nous choisira le khakhan pour
notre indigence à la tâche ? Nous n’avons pas poussé très loin, il faut le
reconnaître, nos stratégies d’imposition et de taxation, et je doute que
Kubilaï tienne la pluie pour une excuse valable.
— Marco, pourquoi nous tourmenter à échafauder
des plans qui ne pourront être mis à exécution ? objecta-t-il
nonchalamment. Le temps est sec, aujourd’hui. Asseyons-nous tranquillement et
profitons du soleil, de la caresse de la brise et du spectacle de ta charmante
compagne qui cueille les fleurs du jardin.
— Wei-ni, persistai-je. Cette cité est riche.
Elle possède le seul marché couvert qu’il m’ait été donné de voir, plus dix
autres à ciel ouvert. Tous grouillent de monde... sauf quand il pleut. Et puis,
ces pavillons qui servent d’hôtel sur les îles du lac. Ces familles qui tirent
leur fortune de la fabrication d’éventails. Ces bordels pleins à craquer. Aucun
d’entre eux ne paie le moindre tsien au Trésor du nouveau
gouvernement ! Si Hangzhou est si prospère, que faut-il en conclure du
reste de Manzi ? Et tu voudrais que je reste assis tranquillement sans que personne, dans ce pays, ne paie jamais la moindre taxe par tête,
ni d’impôt foncier, ni de droits de douane... ?
— Marco, tout ce que je puis te répondre, le wang
et moi te l’avons dit et répété, c’est que tous les registres fiscaux tenus
à l’époque du régime Song ont disparu avec lui. Peut-être la vieille
impératrice a-t-elle pris un malin plaisir, en roublarde qu’elle était, à
ordonner leur destruction. Mais, plus vraisemblablement, ses sujets auront pris
d’assaut les bureaux d’enregistrement et
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