Marco Polo
en partant.
Exécrable sacrilège, vous en conviendrez. Nul ne sait pourquoi il l’a fait. On
le présume en fuite quelque part en Inde, or, dans ce pays, Bouddha n’est plus
révéré.
— Le roi n’est pas allé plus loin qu’Akyab,
puisqu’il y est mort..., murmurai-je. La dent pourrait donc encore se trouver parmi
ses effets.
Le pongyi haussa les épaules d’un air de
résignation désespérée et continua de nous faire découvrir d’autres admirables
trésors d’Ananda. Mais j’avais déjà mon idée en tête et, dès que je pus le
faire sans paraître impoli, je mis un terme à notre promenade, remerciai le pongyi pour ses aimables attentions et pressai Hui-sheng et Yissun de me suivre
jusqu’au palais, leur racontant en route ce que j’avais imaginé. Une fois au
palais, je demandai immédiatement audience au wang Bayan et le mis au
courant dans la foulée.
— Si je peux retrouver la dent, ce sera mon
cadeau pour Kubilaï. Bien que Bouddha ne soit pas un dieu qu’il honore, la dent
d’un dieu n’en serait pas moins un souvenir qu’aucun monarque n’a jamais
possédé. Même si, dans notre Chrétienté, certaines de ces reliques existent –
des morceaux de la vraie croix, les clous sacrés, le saint suaire –, il ne
subsiste rien du corps du Christ, excepté quelques traces du sang sacré. Le
khakhan serait comblé de posséder la vraie dent de Bouddha.
— Si tu parviens à la retrouver, lâcha Bayan.
Moi, je n’ai jamais vu revenir une seule des miennes ! Sinon, je ne serais
pas obligé de porter cet engin de torture. Comment comptes-tu t’y
prendre ?
— Avec votre permission, wang Bayan, je
vais me rendre d’ici au port d’Akyab, examiner l’endroit où est mort l’ancien
roi, fouiller dans ses affaires et interroger tout survivant éventuel de sa
famille. Elle doit être là, quelque part. Cependant, j’aimerais laisser
Hui-sheng ici, sous votre protection. Je sais maintenant combien le voyage sous
ces latitudes peut être pénible et je ne tiens pas à l’y exposer de nouveau
jusqu’à notre retour à Khanbalik. Sa servante prend bien soin d’elle, ainsi que
nos autres domestiques, et si vous permettez qu’elle réside ici avec vous...
J’aimerais aussi vous demander la faveur de garder avec moi mon interprète
Yissun. Je n’ai besoin que de lui et d’un cheval pour chacun de nous. Je
voyagerai léger, car j’entends faire vite.
— Tu sais que tu n’avais pas besoin de me
solliciter pour cela, Marco ; tu transportes avec toi la plaque pai-tzu de Kubilaï, seule autorité dont tu aies besoin. Mais je te remercie de ta
courtoisie et bien sûr t’accorde ma permission, avec ma promesse que rien
n’arrivera à ta dame, et mes meilleurs vœux pour ta quête.
Il conclut par le traditionnel adieu mongol :
— Un bon cheval et une plaine ouverte pour toi,
au plaisir de te revoir.
35
Ma quête ne s’avéra ni facile, ni brève, bien que
j’eusse eu bonne fortune et ample assistance. Pour commencer, je fus reçu dans
cette sordide cité côtière qu’était Akyab par un certain Shaibani, le sardar envoyé par Bayan afin de commander aux forces d’occupation mongoles. Il
m’accueillit très cordialement, presque heureux de me voir, dans la demeure
qu’il s’était appropriée comme lieu de résidence. C’était la meilleure maison
d’Akyab, nous n’en dirons pas plus.
— Sain bina, fit-il.
Qu’il est bon de vous saluer, grand frère Marco Polo ! Je vois que vous
transportez le pai-tzu du khakhan ?
— Sain bina, sardar Shaibani.
Oui, je viens en mission pour notre seigneur Kubilaï.
Yissun conduisit nos chevaux dans l’écurie qui
occupait l’arrière de la maison. Shaibani et moi entrâmes par l’avant, et ses
aides nous préparèrent un repas. Tout en mangeant, je lui expliquai que j’étais
sur les traces de l’ancien roi d’Ava, Narasinha-pati, ajoutant que je
souhaitais examiner les effets qu’avait pu laisser le fugitif et interroger
toute personne de son entourage susceptible d’être encore en vie.
— Il en sera fait selon vos désirs, répondit le sardar. Je suis d’autant plus joyeux de vous voir muni du pai-tzu qu’il vous
donne autorité pour régler une dispute en cours ici. C’est une question qui a
soulevé l’ire générale et divisé les citoyens de la ville en factions rivales.
Ils se sont tous si bien impliqués dans cette querelle que c’est tout juste
s’ils ont prêté attention à notre arrivée.
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