Marco Polo
et se
déshabilla comme nous. Mais lorsque Hui-sheng et moi fumes dans l’eau, et alors
qu’Arùn se trouvait encore perchée sur le bord, sur le point de se glisser
entre nous, je l’arrêtai un instant. Je voulais juste faire une petite
plaisanterie, un climat d’entente s’étant instauré entre nous. J’écartai donc
doucement les genoux de la jeune fille et, soulignant du doigt l’ombre velue
tapie dans son entrejambe, j’indiquai à Hui-sheng, intriguée :
— Regarde... la queue sacrée de l’éléphant
blanc !
Hui-sheng se consuma d’un rire silencieux, poussant
Arùn à jeter un regard passablement inquiet vers le bas de son corps pour
deviner ce qui n’allait pas. Mais dès que, non sans difficulté, je lui eus
traduit la blague, Arùn rit de bon cœur, elle aussi. C’était probablement la
première fois dans l’histoire de l’humanité, et peut-être la dernière, qu’une
femme prenait avec bonne humeur et comme une flatterie une comparaison avec un
éléphant. En guise de revanche, Arùn commença dès lors, au lieu de m’appeler u
Marco comme elle l’avait toujours fait, à me donner du u Saathvan Gajah, ce qui signifiait, je finis par le comprendre : « l’éléphant de
soixante ans. » Mais je le pris fort bien, également, lorsqu’elle me fit
comprendre qu’il s’agissait du plus haut compliment que l’on pouvait adresser.
Partout à Champa, expliqua-t-elle, un éléphant de soixante ans représentait en
effet l’incarnation même de la puissance, de la virilité et de la vigueur
masculines.
Quelques soirées plus tard, Arùn nous montra de bien
curieux objets : elle les appelait mata ling (ce qui signifie
« cloches d’amour ») et, comme elle souligna l’expression d’un
sourire coquin en ajoutant « aukàn », je supposai qu’il
s’agissait d’une amélioration potentielle à nos ébats nocturnes. Elle sortit
une pleine poignée de ces mata ling, des objets ovoïdes qui
ressemblaient un peu aux grelots qu’on accroche au cou des chameaux ; de
la taille d’une noisette, ils étaient faits d’un alliage doré. Hui-sheng et moi
en saisîmes un et, l’ayant secoué, nous entendîmes résonner à l’intérieur le
bruit d’une petite boulette. On n’aurait pu de toute façon les accrocher à un
vêtement ni les fixer au harnais d’un chameau, car nulle ouverture utilisable
ne s’offrait aux extrémités, aussi fûmes-nous incapables d’en deviner l’usage.
Nous regardâmes donc Arùn avec perplexité, dans l’attente de son explication.
Il fallut un certain temps, pas mal de répétitions et
de dénégations pour élucider le mystère, mais Arùn parvint à nous indiquer
(soulignant ses propos de maints « kwe » et de nombreux
gestes) que le mata ling était destiné à être implanté sous la peau de
l’organe masculin. Dès que je compris ce que cela impliquait, je crus à une
plaisanterie et éclatai de rire. Mais quand je me rendis compte que la jeune
fille parlait sérieusement, j’émis de vigoureuses interjections d’indignation
et d’horreur. Hui-sheng me fit signe de me taire et de me calmer, et incita
Arùn à poursuivre. Elle le fit, et... je confesse que, de toutes les curiosités
que j’ai pu rencontrer au cours de mes voyages, les mata ling étaient
sans aucun doute les plus étranges.
Leur invention était due, disait Arùn, à une Myama de
jadis, alors reine d’Ava, que son royal époux avait malencontreusement
délaissée, lui préférant les jeunes garçons. La reine fabriqua des mata ling de cuivre et (Arùn n’expliqua pas comment) découpa la peau du kwe du
roi, y inséra un certain nombre de ces petites cloches et recousit le tout. Dès
lors, il ne fut plus en mesure de pénétrer les petits orifices des jeunes
garçons, son organe étant devenu trop massif, et dut se consoler dans le plus
hospitalier réceptacle hit de son épouse. D’une façon ou d’une autre
(Arùn n’expliqua pas comment non plus), les autres femmes d’Ava découvrirent
que l’objet n’était pas seulement à la mode, mais qu’il amplifiait le plaisir,
l’homme étant de fait prodigieusement plus large qu’avant, et la vibration du mata procurant aux deux partenaires une nouvelle sensation ineffable durant l’acte d’aukàn.
Les mata ling étaient toujours fabriqués à Ava,
ajouta Arùn. Seulement là, et uniquement par certaines vieilles femmes qui
savaient les installer d’une main sûre, sans douleur, aux endroits les
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