Marco Polo
plus
puissant souverain de la terre, digne gentilhomme à l’âge de plus en plus mûr,
avec pour seule suggestion de soumettre son vénérable organe à cette « amélioration »...
Non, je voyais mal comment présenter ce cadeau sans
qu’il en ressentît un affront, du ressentiment même, et n’en conçût des
représailles. En fait, le lendemain, j’eus le soulagement de voir poindre une
nouvelle idée, une alternative des plus séduisante, du reste, que j’entrepris
sans attendre de mener à bien. Un objet unique est forcément, au départ, le
représentant d’une série, et il est donc impossible à quelque objet que ce soit
d’être « plus unique » qu’un autre. Mais si le durian était un
fruit unique en son genre, comme pouvait l’être à sa façon l’éléphant blanc ou
les cloches d’amour mata ling, alors ma nouvelle idée était unique entre
toutes.
C’est le vieux pongyi du palais qui me
l’inspira. Comme nous flânions de nouveau en sa compagnie au hasard des rues de
Pagan et qu’il se répandait en savants commentaires sur tel spectacle que nous
rencontrions, nous nous trouvâmes soudain devant le phra le plus grand,
le plus estimé et le plus saint du pays d’Ava. Ce n’était pas l’une de ces cloches
inversées parmi d’autres, c’était un temple magnifique, aussi splendide
qu’imposant, d’un blanc éblouissant, comme s’il avait été bâti d’écume... si
tant est qu’on puisse imaginer un empilement de mousse haut comme la basilique
San Marco, délicatement ciselé et couvert d’un toit d’or. Il était appelé
temple d’Ananda, terme signifiant « félicité éternelle », qui avait
aussi été le nom d’un des disciples de Bouddha durant sa vie. On pouvait même
affirmer, nous confirma le pongyi tandis que nous pénétrions à
l’intérieur du majestueux monument, qu’Ananda avait été le disciple préféré de
Bouddha, comme Jean avait pu l’être pour Jésus.
— Ceci a été le reliquaire de la dent de Bouddha,
fit le pongyi, comme nous passions à côté d’une cassette dorée posée sur
un pilier d’ivoire. Et voici la statue de Nataraji, la déesse danseuse.
Celle-ci était à l’origine si parfaite qu’elle s’est vraiment mise à
danser ; or, lorsqu’un dieu danse, la terre frémit. Notre cité fut donc
secouée au point qu’elle risquait de tomber en ruine, quand l’image de la
danseuse perdit un doigt lors de ses cabrioles, ce qui suffit à la calmer et la
ramena à son état de statue. Depuis, et jusqu’à ce jour, toutes les images
religieuses ont au moins, à dessein, un défaut. Une imperfection si insignifiante
qu’on pourrait ne même pas l’apercevoir, mais qui s’y trouve bel et bien. Juste
par sécurité...
— Veuillez m’excuser, révérend pongyi, fis-je.
Avez-vous bien dit qu’il s’agissait là-bas d’une cassette contenant la dent de
Bouddha ?
— Oui, dans le temps..., répondit-il tristement.
— Une vraie dent ? De Bouddha en
personne ? Une dent qui aurait traversé sept siècles ?
— Oui, confirma-t-il. (Et il ouvrit la cassette
pour nous montrer le sac de velours rouge qui l’avait naguère contenue.) Un pongyi pèlerin de l’île de Srihalam l’a apportée jusqu’ici voilà près de deux
cents ans pour l’inauguration de ce temple. C’était notre plus précieuse
relique.
Hui-sheng exprima sa surprise devant la taille de
l’endroit resté vide qui avait contenu la dent et me fit comprendre que
celle-ci avait dû être si grande qu’elle aurait occupé toute la tête de
Bouddha. Je relayai cette remarque irrévérencieuse à Yissun, et lui au pongyi.
— Amè, oui, c’était une dent énorme,
acquiesça le vieux gentilhomme. Et pourquoi pas ? Bouddha était un homme
immense. On peut encore voir, sur cette même île de Srihalam, l’empreinte de
son pied sur une roche. D’après sa longueur, on a évalué la taille de Bouddha à
environ neuf coudées de haut [27] .
— Amè, fis-je
en écho. Cela fait quarante paumes ? Treize pieds et demi. Bouddha doit
avoir été de la race de Goliath.
— Et encore ! Lorsqu’il reviendra sur terre,
dans sept ou huit mille ans, nous nous attendons à ce qu’il mesure quatre-vingts coudées de haut.
— Ses adeptes n’auront ainsi pas grande
difficulté à le reconnaître... Moins que nous avec Jésus, en tout cas. Mais
qu’est devenue cette dent sacrée ?
Le pongyi renifla légèrement.
— Le roi qui a fui l’a dérobée
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