Marcof-le-malouin
S’il avait réussi, pauvre malheureux ! il aurait rendu ton nom infâme et méprisable ! Assassin, traître et délateur, tu aurais été repoussé par tous les cœurs honnêtes. Il exploitait ton amour. Il te promettait Yvonne, et il faisait enlever la jeune fille pour le compte de quelque misérable qui lui payait largement sa complaisance. Il se servait de toi comme d’une machine inintelligente qu’il aurait peut-être désavouée plus tard. Dis, Keinec, comprends-tu ?
Tandis que Marcof parlait, le jeune homme, pâle et les yeux baissés, écoutait en silence. Sa physionomie reflétait les sentiments tumultueux qui s’agitaient en lui. Quand Marcof eut achevé, il releva lentement la tête.
– Jure-moi que tout cela est vrai ? fit-il.
– Je te le jure sur mon honneur, et tu sais que je n’ai jamais menti !
Keinec, soutenant d’une main son aviron, se souleva sur son banc. Ses traits décomposés par la colère, offraient une expression de férocité effrayante.
– Eh bien ! dit-il enfin en accentuant fortement ses paroles, moi aussi je fais un serment ! Je jure devant Dieu et devant vous que Carfor souffrira toutes les tortures qu’il m’a fait souffrir ! Je jure de verser son sang goutte à goutte ! Je jure de hacher son corps en morceaux et de disperser ces morceaux sur le rivage, pour qu’ils soient dévorés par les oiseaux de proie !
– Je retiens ton serment, répondit Marcof ; mais souviens-toi de celui que tu as prononcé tout à l’heure. Tu me dois avant tout obéissance, et tu n’agiras librement envers Carfor que lorsque je t’aurai délié moi-même. Jusque-là cet homme m’appartient.
– Oui ! répondit sourdement Keinec.
Un moment de silence régna dans la barque.
– Et lorsque tu as eu manqué Jahoua, reprit Marcof, que s’est-il passé ?
– Je me suis élancé sur lui, dit le fermier ; nous avons combattu quelque temps sans trop d’avantage marqué. Enfin le cheval qui emportait Yvonne a passé ; nous l’avons entendu, et comme il nous est venu à tous deux la même pensée, nous nous sommes arrêtés.
– Vous avez reconnu la jeune fille ?
– Il nous a semblé reconnaître sa voix. Moi, j’ai couru au village, et Keinec a couru après le cheval. Seulement nous étions convenus tous deux que nous nous rejoindrions au lever du jour.
– Bien ! fit Marcof. Maintenant, écoutez-moi. Vous êtes deux gars braves et vigoureux. À nous trois nous ne craindrions pas une dizaine d’hommes, surtout bien armés comme nous le sommes. Keinec, tu vas dire à Jahoua que tu as regret de ce que tu as fait ou tenté de faire envers lui. Allons ! parle sans mauvaise grâce. Songe que tu as failli commettre une mauvaise action et que tu dois la réparer.
– Je le reconnais, dit Keinec avec noblesse ; je demande pardon à Jahoua, et je te suis reconnaissant, Marcof, d’avoir réveillé dans mon cœur des sentiments dignes de moi !
– Bravo ! mon gars. Donne-moi la main. Keinec serra vivement la main que lui tendait Marcof ; puis, se retournant vers Jahoua :
– Me pardonnes-tu ? lui dit-il.
– Certes ! répondit le brave fermier. Puisque tu ne m’as pas tué, je ne dois pas te garder rancune. Si tu veux même me donner la main, voici la mienne, à condition que, dès que nous aurons ramené Yvonne à Fouesnan, nous reprendrons la conversation où nous l’avons laissée.
– Convenu, Jahoua ! Jusque-là, combattons ensemble pour sauver celle que nous aimons. Soyons-nous fidèles l’un à l’autre. Qui sait ? peut-être qu’une balle ou un coup de poignard des misérables que nous allons chercher simplifiera la situation.
– C’est tout de même possible, Keinec !
Et les deux ennemis se donnèrent la main. Keinec n’était plus le même : sous l’influence du cœur loyal de Marcof, sa loyauté était revenue. Il se repentait sincèrement des horribles projets qu’avait fait naître Carfor, et s’il était toujours décidé à tuer son rival, désormais il ne le ferait qu’en adversaire loyal. Il avait hâte de se trouver en face du berger et de lui faire payer la honte qui venait de faire rougir son front.
Marcof aimait sincèrement Keinec. Il suivait attentivement sur sa physionomie les sensations diverses qui s’y reflétaient. Heureux d’avoir ramené dans le sentier de l’honneur le jeune homme qui avait été près de s’en écarter en commettant un crime, il espérait trouver plus tard un moyen de
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