Marcof-le-malouin
seulement le râle était devenu plus sourd et bientôt même il cessa tout à fait.
– Il est mort ! fit Jahoua.
Marcof lui posa la main sur le cœur.
– Pas encore, répondit-il ; mais il n’en vaut guère mieux.
– Comment le faire parler ?
– Fouille-le, Keinec ; peut-être trouverons-nous quelque indice.
Keinec arracha l’habit et la veste qui couvraient Raphaël. Il plongea ses mains frémissantes dans les poches, et en retira un papier.
– Donne s’écria Marcof en le lui arrachant.
C’était une lettre. Le marin l’ouvrit rapidement.
– L’écriture de Carfor ! fit-il.
– Lis ! dit Keinec.
– Adressée au chevalier de Tessy ! continua Marcof.
– Celui qui a enlevé Yvonne ! s’écrièrent les deux jeunes gens.
– Cet homme est le chevalier de Tessy, alors ?
– Je tiens donc l’un de ces misérables ! murmura Marcof avec une joie féroce.
Tous trois d’un même mouvement soulevèrent Raphaël.
– Il faut lui donner la force de parler ! s’écria Jahoua ; que nous sachions ce qu’il a fait d’Yvonne et ce qui s’est passé ici, dussions-nous pour cela hâter sa mort.
Raphaël fit un mouvement. Il porta la main à sa poitrine et à sa gorge, et balbutia quelques mots qu’il fut impossible de comprendre.
– Il veut boire dit Marcof en interprétant le geste dû mourant.
Jahoua descendit et remonta bientôt, apportant un vase plein d’eau fraîche qu’il approcha de la bouche du chevalier. Raphaël y trempa ses lèvres et parut éprouver un peu de bien-être. Keinec le soutenait. Les lumières des bougies frappaient en plein sur la figure décomposée du misérable. Marcof porta la main à son front.
– C’est étrange ! murmura-t-il.
– Qu’est-ce donc ? demanda Keinec.
Marcof ne lui répondit pas, mais, prenant un flambeau, il l’approcha du visage de Raphaël pour mieux en examiner les traits.
– C’est étrange ! répéta-t-il, il me semble reconnaître cet homme ! et j’ai beau fouiller dans mes souvenirs, je ne puis me rappeler positivement à quelle époque ni dans quelles circonstances je l’ai rencontré.
– N’est-ce donc pas là le chevalier de Tessy ? s’écria Jahoua.
– Je l’ignore, répondit Marcof, et cependant cette lettre porte bien ce nom et semble lui appartenir.
– Je crois qu’il a fait un mouvement ! dit Keinec.
– Alors nous allons savoir qui il est.
Et tous trois se rapprochèrent du moribond, Marcof de plus en plus singulièrement préoccupé, Keinec et Jahoua poussés par l’unique désir d’apprendre de cet homme ce qu’était devenue la jeune fille qu’ils aimaient tous deux.
XIX – LA FORÊT DE PLOGASTEL.
Raphaël sembla reprendre un peu de force. Il entendait déjà, mais il ne voyait pas encore. Il éprouvait cette courte absence de douleurs qui précède le dernier moment.
– Vous êtes le chevalier de Tessy, n’est-ce pas ? demanda Marcof.
Raphaël fit un effort. Un « oui » bien faible vint expirer sur ses lèvres.
– Qu’as-tu fait d’Yvonne ? s’écria Keinec.
– Yvonne… balbutia le mourant.
– Oui. Yvonne que tu as enlevée, misérable, dit Jahoua. Réponds vite ! qu’en as-tu fait ?
– Il m’a empoisonné ! fit Raphaël en suivant le cours de ses pensées sans paraître avoir compris ce que lui demandait le fermier.
– Empoisonné ? s’écria Marcof.
– Oui, empoisonné ! « L’aqua-tofana ! » la fiole que lui avait donnée…
Raphaël ne put achever : de nouvelles douleurs crispaient ses traits bouleversés. Marcof lui secoua le bras.
– Qui t’a empoisonné ? dit-il à voix basse.
– Lui…
– Qui, lui ?
– Oh !… J’étouffe !… Je brûle !… À moi ! balbutia le malheureux en se tordant.
– Mon Dieu ! nous ne saurons rien !… s’écria Jahoua avec désespoir.
– Que faire ? il va mourir ! dit Keinec. Marcof, viens à notre aide !
– Marcof ?… répéta Raphaël que ce nom prononcé parut faire revenir à lui. Marcof !
– Me connais-tu donc ?
– Oui…
– Alors, réponds-moi. Où est Yvonne ?
– Oh ! tu me vengeras ! fit Raphaël en se cramponnant au bras du marin, tu me vengeras !…
– Mais, de qui ?
– De lui… de celui qui… m’a assassiné.
– Son nom ?
– Oh !… je ne puis… J’étouffe trop… je…
Et Raphaël, portant les mains à sa poitrine arracha ses vêtements et s’enfonça les ongles dans les
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