Marcof-le-malouin
grâce. Le 6, le roi et la famille royale, qui allaient monter en voiture pour accomplir une promenade, se sont vus contraints à rentrer aux Tuileries sous les menaces du peuple ameuté. Le 10, une nouvelle publication du « Credo d’un bon Français » a eu lieu dans plusieurs journaux, et a excité encore la fureur populaire. Vous vous rappelez cette pièce ridiculement fatale qui, en février dernier, a accompagné et peut-être causé la tentative de ces braves cœurs que les révolutionnaires ont cru flétrir en leur donnant le nom de « chevaliers du Poignard ? »
– Parbleu ! dit Marcof, je sais encore par cœur ce credo dont vous parlez. Le voici tel que je l’ai appris : « Je crois en un roi, descendu de son trône pour nous, qui étant venu au sein de la capitale par l’opération d’un général, s’est fait homme, qui a permis que son pouvoir royal fût mis dans le tombeau ; mais qui ressuscitera bientôt… »
– Précisément, interrompit Boishardy. Eh bien ! cette seconde publication a fait plus de mal encore peut-être que la première. « Pour se venger du dévouement dont faisaient preuve un grand nombre de sujets fidèles, le peuple, perfidement conseillé, a abreuvé d’outrages notre malheureux prince, sous les fenêtres duquel les chansons insultantes retentissaient à toute heure. Enfin, le 20 juin, le roi prit un parti énergique que lui conseillaient depuis longtemps ses frères et les émigrés. À la nuit fermée, il a quitté secrètement les Tuileries, et, accompagné de la reine, du dauphin, de Madame Royale, de madame Élisabeth et de madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France, il s’est élancé sur la route de Montmédy. Une heure plus tard MONSIEUR et MADAME partaient du Luxembourg pour gagner la frontière des Pays-Bas.
– Quoi ! s’écria Marcof stupéfait, le roi abandonne sa propre cause ? Il quitte Paris, il quitte la France peut-être ?
– Telle était son intention effectivement, dit le comte de La Bourdonnaie ; car M. de Bouillé, à la tête du régiment de Royal-Allemand, était parti de Metz pour aller au-devant du roi et protéger sa fuite.
– Eh bien ! ne l’a-t-il donc pas fait ?
– Il n’a pu le faire !
– Quoi ! le roi est revenu ?
– Oui, dit Boishardy ; mais revenu par force. Reconnu à Sainte-Menehould par le maître de postes Drouet, il a été arrêté à Varennes par les soins de Sauze, procureur de la commune, et par Rouneuf, l’aide-de-camp de Lafayette, envoyé de Paris en toute diligence.
– Le roi arrêté ! dit Marcof avec une stupeur profonde.
– Oui, arrêté ! et écroué le 25 dans son propre palais, interrogé comme un criminel par des commissaires de l’Assemblée, et gardé à vue ainsi que sa famille, par les soldats révolutionnaires !
Marcof laissa échapper un énergique juron, et fit craquer, par un mouvement involontaire, la batterie de sa carabine.
– Le roi, continua Boishardy, avait été ramené de Varennes par trois envoyés de l’Assemblée : Latour-Maubourg, Pétion et Barnave, qui ont voyagé dans la même voiture que la famille royale, tandis que Maldan, Valory et Dumoutier, les trois gardes-du-corps qui s’étaient dévoués pour accompagner leur prince, étaient liés et garrottés sur le siége, exposés aux injures de la populace, qui riait autour du cortége de la royale victime ! Pendant ce temps, savez-vous ce que faisait le bon peuple parisien ? Il arrachait les enseignes où se trouvait l’effigie, les armoiries ou seulement le nom du roi ; il brisait dans tous les lieux publics le buste de Louis XVI et un piquet de cinquante lances faisait des patrouilles jusque dans le jardin des Tuileries en portant sur une bannière : « Vivre libre ou mourir Louis XVI s’expatriant n’existe plus pour nous. »
– Mais, dit La Bourdonnaie, que fait la classe riche, la classe aisée ?
– La bourgeoisie ? répondit Boishardy ; elle fait chauffer le four pour manger les gâteaux. Elle rit, elle plaisante ; elle a adopté un nouveau jeu, celui de « l’émigrette » ou de « l’émigrant » ou de « Coblentz . C’est une espèce de roulette suspendue à un cordon qui lui donne un mouvement de va-et-vient perpétuel. « C’est une rage ! Aux portes des boutiques, m’écrit-on, aux fenêtres, dans les promenades, dans les salons, à toute heure et partout, les hommes, les femmes et les enfants s’en
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