Marcof-le-malouin
chairs.
– Yvonne ! Yvonne ! s’écria Keinec.
– Je ne sais pas, répondit le mourant.
– Que s’est-il donc passé ici ? fit Marcof en regardant autour de lui.
Puis revenant à Raphaël :
– Qui était avec toi ici ?
– Lui.
– Mais qui donc ? le comte de Fougueray peut-être ?
– Oui.
– C’est lui qui t’a empoisonné ?
– Oui.
– Ton frère ! s’écria le marin en reculant d’épouvante. Raphaël se dressa sur son séant.
– Ce n’est pas mon frère ! dit-il d’une voix nette.
– Que dis-tu ? fit Marcof en s’élançant près de lui.
– La vérité !
– Oh ! je te reconnais ! je te reconnais ! Je t’ai vu dans les Abruzzes !
Raphaël regarda Marcof avec des yeux hagards.
– Ton nom ! s’écria le marin.
– Raphaël ! Venge-moi ! venge-moi ! Je vais tout te dire. Tu sauras la vérité… tu les livreras à la justice… Elle n’est pas notre sœur… c’est sa maîtresse à lui… à…
Raphaël s’arrêta. Il demeura quelques secondes la bouche entr’ouverte comme s’il allait prononcer un mot, puis il retomba sur le divan, et se roidit dans une convulsion suprême.
– Il est mort ! s’écria Keinec.
– Mort ! répéta Marcof avec stupeur.
– Mort ! Et nous ne savons rien ! fit Jahoua en se tordant les mains.
Les trois hommes se regardèrent. En ce moment, le bruit d’une détonation lointaine arriva jusqu’à eux par la fenêtre ouverte. Cette détonation fut suivie de plusieurs autres ; puis tout rentra dans le silence.
– Qu’est-ce cela ? fit Keinec.
Marcof, sans répondre, s’élança vers la fenêtre. Il écouta attentivement : deux nouveaux coups de feu firent encore résonner les échos, et ces coups de feu furent suivis rapidement d’un sifflement aigu et du son d’une corne.
– Partons ! dit-il brusquement ; partons ! Nos amis viennent d’arrêter quelqu’un ! Peut-être est-ce l’autre, son complice, son meurtrier qu’ils ont pris ! Hâtons-nous. Cet homme est bien mort ! continua-t-il en s’approchant de Raphaël. Le couvent est désert, allons à la forêt.
Tous trois quittèrent vivement l’abbaye. La forêt de Plogastel était proche ; ils y arrivèrent rapidement en passant au milieu des embuscades royalistes. Marcof se fit reconnaître des paysans et demanda un guide pour le conduire vers le comte de La Bourdonnaie. Le chef des royalistes était assis au pied d’un chêne gigantesque situé au centre d’un vaste carrefour vers lequel rayonnaient quatre routes différentes. Debout, près de lui, appuyé sur son fusil, se tenait un homme de taille moyenne, mais dont l’extérieur décelait une force musculaire peu commune. Cet homme était M. de Boishardy.
Marcof laissa Keinec et Jahoua à quelque distance, et s’avança seul vers les deux chefs qui paraissaient plongés dans une conversation des plus attachantes et des plus sérieuses. M. de Boishardy parlait ; M. de La Bourdonnaie écoutait. À la vue de Marcof, le narrateur s’interrompit pour lui tendre familièrement la main.
– Vos hommes viennent de faire des prisonniers ? demanda le marin en se tournant vers le comte de La Bourdonnaie, après avoir répondu au salut amical qui lui était adressé.
– Oui, répondit le royaliste ; j’ai entendu les coups de feu et le signal.
– Où sont-ils ?
– On va les amener ici.
– Bien ! Je les attendrai près de vous si toutefois je ne suis pas un tiers importun.
– Nullement, mon cher Marcof. Vous arrivez, au contraire, dans un moment favorable. Il n’y a pas de secret entre nous, et M. de Boishardy me rapportait des nouvelles des plus graves.
– Des nouvelles de Paris ? demanda Marcof.
– Oui, répondit de Boishardy. Je les ai reçues il y a quatre heures à peine, et j’ai fait quinze lieues pour venir vous les communiquer.
– Sont-elles donc si importantes ?
– Vous allez en juger, mon cher. Depuis votre départ de la capitale il s’y est passé d’étranges choses. Écoutez.
Et Boishardy, prenant une liasse de lettres et de papiers qu’il avait posés sur un tronc d’arbre renversé, placé à côté de lui, se mit à les parcourir rapidement tout en s’adressant à ses deux auditeurs.
– Nos dernières nouvelles, vous le savez, étaient à la date du 26 mai dernier. Voici celles qui leur font suite : « Le 5 juin l’Assemblée nationale a ôté au roi le plus beau de ses droits, celui de faire
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