Marcof-le-malouin
retarder les recherches des trois hommes en venant au secours des misérables qu’ils poursuivaient. À peine l’embarcation prenait-elle la haute mer qu’une saute de vent vint entraver sa marche. Une forte brise de nord-ouest souffla tout à coup.
Keinec et Jahoua usaient leurs forces en se couchant sur les avirons sans pouvoir gagner sur le vent debout qui se carabinait de plus en plus, suivant l’expression des matelots. Marcof était trop bon marin pour ne pas reconnaître qu’il deviendrait bientôt impossible de lutter contre la brise. Risquer de faire sombrer le canot eût été l’acte d’un fou.
– Il faut retourner à Penmarckh ! dit-il.
– Retourner ! s’écrièrent ensemble les deux jeunes gens.
– Eh ! sans doute ! que voulez-vous faire ? Bientôt nous reculerons au lieu d’avancer. Virons de bord et retournons au Jean-Louis . La brise nous y portera promptement. Je ferai armer le grand canot ; je prendrai avec nous douze hommes, et alors nous gagnerons sur le vent.
Keinec interrogea le ciel et poussa un profond soupir.
– Allons par terre ! dit Jahoua.
– Nous arriverons une heure plus tard, répondit Marcof.
– Alors virons de bord.
– C’est ton avis, Keinec ?
– Oui.
– Armez les deux avirons à tribord et attendons, car nous allons virer sous le vent, et la lame commence à être forte.
Ces ordres exécutés, l’embarcation, obéissant à l’impulsion du gouvernail, présenta d’abord le travers à la brise, puis tourna vivement sur elle-même.
– Larguez la toile mes gars, et laissons courir, dit Marcof.
Trois quarts d’heure ne s’étaient pas écoulés que le canot accostait le lougre. Le soleil s’élevait rapidement sur l’horizon. Marcof fit armer le grand canot, commanda les canotiers de service, et sans prendre le temps de descendre à terre il fit pousser au large.
La nouvelle embarcation était vaste et spacieuse, et pouvait aisément contenir trente hommes. Tenant admirablement la mer, et enlevée par douze avirons habilement maniés, elle luttait avec avantage contre le vent. Néanmoins, ce ne fut que vers l’approche de la nuit qu’elle parvint à gagner Audierne.
L’entrée du canot dans le petit port vient donc correspondre au moment où Jocelyn venait de reconnaître le chevalier de Tessy et le comte de Fougueray dans les habitants mystérieux de l’aile droite de l’abbaye de Plogastel, au moment aussi où Hermosa plaçait devant Raphaël la carafe de Syracuse contenant le poison des Borgia. Marcof, Jahoua, et Keinec se séparèrent pour aller aux renseignements.
Partout ils interrogèrent. Partout ils racontèrent brièvement la disparition d’Yvonne. Nulle part ils ne purent obtenir une seule parole qui les mît sur la trace des ravisseurs. Les deux jeunes gens étaient en proie au plus violent désespoir. Marcof seul conservait sa raison.
– Fouillons le pays, dit-il.
– Mais il n’y a ni village ni château dans les environs ! répondit Jahoua. Carfor nous aura trompés.
– Je ne le crois pas.
– L’abbaye de Plogastel est déserte, fit observer Keinec.
– Dirigeons-nous toujours vers l’abbaye. La forêt est voisine, et le comte de La Bourdonnaie aura peut-être été plus heureux que nous.
Jahoua secoua la tête.
– Je n’espère plus, dit-il.
– Ils auront gagné les îles anglaises, ajouta Keinec.
– Tonnerre ! s’écria Marcof avec colère, le désespoir est bon pour les faibles ! Restez donc ici. Si vous ne voulez plus continuer les recherches, je les ferai seul !
Et, jetant sa carabine sur son épaule, le marin se dirigea vers la campagne. Keinec et Jahoua s’élancèrent à sa suite. Arrivé à la porte d’une ferme voisine, Marcof s’arrêta.
– Tu dois avoir des amis dans ce pays ? dit-il à Jahoua.
– Oui, répondit le fermier.
– Connais-tu le propriétaire de cette ferme ?
– C’est Louis Kéric, mon cousin.
– Frappe alors, et demande des chevaux.
En voyant Marcof ferme et résolu, ses deux compagnons sentirent renaître une lueur d’espoir ; Jahoua obéit vivement. Le fermier auquel il s’adressait mit son écurie à la disposition de son cousin. Trois bidets vigoureux furent lestement sellés et bridés. Les trois hommes partirent au galop. Dix heures du soir sonnaient à l’église d’Audierne à l’instant où ils s’élançaient dans la direction de l’abbaye. Marcof était en tête.
Arrivés à la moitié environ du chemin
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