Marcof-le-malouin
répondit le marin, car c’était lui qui venait d’entrer ; non, monseigneur, je ne suis pas fou ; mais il s’en faut de bien peu, car vos bontés pour moi me feront perdre la tête !
– N’êtes-vous pas mon ami ?
– Oh ! monseigneur !
– Eh ! mon cher Marcof, qui donc mieux que vous a mérité ce titre ? Vous m’avez quatre fois sauvé la vie ; vous avez reçu deux blessures en me couvrant de votre corps, lorsque nous faisions ensemble la guerre d’Amérique. Vous m’avez donné la moitié de votre pain lorsque nous ne savions pas si nous en aurions le lendemain. Vous n’avez jamais trahi un secret duquel dépend mon honneur, et dont le hasard vous a fait dépositaire. Que diable un homme peut-il faire de plus pour un autre homme ? et, en vous appelant mon ami, ne l’oubliez pas, c’est moi seul qui dois être fier de votre affection !…
Marcof porta vivement la main à ses yeux et essuya une larme.
– Au nom du ciel ! dit-il en frappant du pied, ne parlez donc jamais de toutes ces choses passées qui n’en valent pas la peine, et qui peut-être vous compromettraient si elles étaient entendues.
– Nous sommes seuls ici, répondit lentement le marquis. Donc, plus de gêne ! Frère, embrasse-moi.
Marcof lança autour de lui un coup d’œil rapide. Pour plus de précaution, il poussa la fenêtre, et, serrant vivement et à deux reprises le marquis dans ses bras, il l’embrassa en murmurant :
– Oui, mon bon Philippe, j’avais besoin de te voir.
Les deux hommes, se reculant un peu en se tenant par la main, demeurèrent pendant quelques minutes immobiles en face l’un de l’autre. Leurs bouches étaient muettes, leurs regards seuls lançaient des éclairs joyeux.
VII – UN SECRET DE FAMILLE.
Marcof fut le premier qui parvint à dominer les sensations tumultueuses qui agitaient son cœur. Il prit un siége, s’assit, et, après avoir encore passé une fois la main sur ses yeux :
– Assieds-toi, Philippe, dit-il à voix basse, et, pour Dieu ! remets-toi ; si quelqu’un de tes gens entrait, notre secret ne serait plus à nous seuls.
– Jocelyn veille, répondit le marquis.
– Sans doute ; mais Jocelyn ne sait rien et ne doit rien savoir.
– Tu te défies de lui ?
– Quand il s’agit d’un secret pareil au nôtre, je me défie de moi-même.
– Et pourquoi donc éterniser ce secret ?
– Parce qu’il le faut.
– Frère !
– Chut ! fit vivement le marin en posant son doigt sur les lèvres du marquis. Il n’y a ici que deux hommes, dont l’un est le serviteur de l’autre. Le noble marquis de Loc-Ronan et Marcof le Malouin !
– Encore !
– Il le faut, vous dis-je, monseigneur ; je vous en conjure !
– Soit donc !
– À la bonne heure ! Maintenant occupons-nous de choses sérieuses.
– Mon cher Marcof, reprit le marquis après un silence, et en faisant un effort visible pour traiter son interlocuteur avec une indifférence apparente ; mon cher Marcof, vous avez été à Paris dernièrement.
– Oui, monseigneur, et j’ai scrupuleusement suivi vos ordres.
– Ce que l’on m’a écrit est-il vrai ?
– Parfaitement vrai. Le roi n’a plus de sa puissance que le titre de roi, et, avant peu, il n’aura même plus ce titre.
– Quoi ! le peuple de Paris oublierait à ce point ses devoirs ?
– Le peuple ne sait pas ce qu’il fait. On le pousse, il va !
– Et la noblesse ?
– Elle se sauve.
– Elle se sauve ? répéta le gentilhomme stupéfait.
– Oui ; mais elle appelle cela émigrer . Au demeurant, le mot seul est changé ; mais il signifie bien fuite .
– Qu’espère-t-elle donc, cette noblesse insensée ?
– Elle n’en sait rien. Fuir est à la mode ; elle suit la mode.
– Et la bourgeoisie ?
– La bourgeoisie agit en se cachant. Elle pousse à la révolution ; et rappelez-vous ceci, monseigneur, si cette révolution éclate, la bourgeoisie seule en profitera.
– Mon Dieu !… pauvre France ! murmura le marquis.
Puis, relevant la tête, il ajouta avec fierté :
– Toute la noblesse ne fuit pas, au moins ! La Bretagne est pleine de braves gentilshommes. Que devrons-nous faire ?
– Ce qui a été convenu.
– La guerre ?…
– Oui, la guerre ! Que le roi revienne parmi nous, et nous saurons bien le défendre.
– Avez-vous été à Saint-Tady ?
– Hier même j’étais à l’île de Groix, et j’en arrive.
– Vous avez rencontré
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