Marcof-le-malouin
Suivez-nous.
Le comte marchant en tête, les trois hommes pénétrèrent dans la salle basse. Jocelyn prévenu de leur arrivée les attendait sur le seuil.
– Que voulez-vous ? demanda-t-il brusquement.
– Le marquis de Loc-Ronan ? répondit le comte.
– Monseigneur est mort !
– Quand cela ?
– Hier à midi et demi.
– Ne pouvons-nous du moins le contempler une dernière fois ?
– Entrez dans la chapelle, messieurs.
Et Jocelyn, saluant à peine, désigna du geste l’entrée du lieu sacré et se retira.
– Cette mine de vieux boule-dogue anglais ne me présage rien de bon, murmura le comte. Est-ce que ce damné marquis serait mort et bien mort !
– Entrons toujours ! répondit le chevalier.
Une fois dans la chapelle, et en présence du recteur et des nombreux assistants, les deux aventuriers, car désormais nous devons leur donner ce titre qui, le lecteur l’a deviné sans doute, leur convient de tout point, les deux aventuriers crurent nécessaire de jouer une comédie larmoyante. Ce furent donc, de leur part, des gestes attendris et des pleurs mal essuyés attestant une douleur vive et profonde.
– Jamais, disaient-ils, chacun sur des variations différentes, mais au fond sur le même thème, jamais ils n’auraient pu songer, en quittant quelques jours auparavant leur cher et bien-aimé marquis, qu’ils le serraient dans leurs bras pour la dernière fois !… Puis suivaient des soupirs, des hélas ! des sanglots difficilement contenus.
Il fallait que ces hommes fussent de bien complets misérables, il fallait que leur cœur fût gangrené tout entier et dénué de l’ombre même d’un sentiment de décence pour qu’ils osassent jouer une si infâme comédie en présence d’un cadavre et d’une foule désolée. Ils poussèrent l’audace jusqu’à dire que leur tendre affection n’avait pu encore se résoudre à ajouter foi à toute l’étendue du malheur qui les frappait, et qu’ils avaient amené un médecin pour s’assurer que l’espoir d’une léthargie ou de toute autre maladie donnant l’apparence de la mort était anéanti pour eux. Bref, ils jouèrent leur rôle avec une telle perfection que, Jocelyn n’étant pas présent, les prêtres et les témoins de cette douleur bruyante ne purent s’empêcher de compatir à cette désolation sans borne.
Le pieux recteur de Fouesnan voulut même leur prodiguer les consolations de la parole. On tenta de les arracher à ce spectacle qui semblait déchirer leur cœur. Soins inutiles !… Instances vaines ! Ils persistèrent dans leur désir de rester présents, et ils déclarèrent formellement ne vouloir se retirer qu’après que le célèbre praticien qu’ils avaient amené avec eux, aurait bien et dûment constaté que le malheur était irréparable et que la science devenait impuissante. Force fut donc de leur laisser tromper leur douleur pour quelques instants, en leur permettant de satisfaire un désir si légitime et si ardemment exprimé. Les prêtres s’écartèrent, et le médecin, sur un signe du comte, gravit les marches du catafalque.
Le docteur avait sans aucun doute reçu des ordres antérieurs, car il procéda minutieusement à l’examen du corps. Après dix minutes d’une attention scrupuleuse, il secoua la tête, laissa retomber dans la bière la main inerte qu’il avait prise, et s’adressant au comte et au chevalier :
– La science ne peut plus rien ici, messieurs, dit-il. Pour faire revivre le marquis de Loc-Ronan, il faudrait plus que le pouvoir des hommes, il faudrait un miracle de Dieu. Le marquis est bien mort !
XV – LES HÉRITIERS PRESSÉS.
Le comte et son compagnon courbèrent la tête sous cet arrêt sans appel prononcé à voix haute. Ils se retirèrent ensuite à pas lents, au milieu des témoignages d’estime et de sympathie. Arrivés à la porte de la chapelle, ils en franchirent silencieusement le seuil. Mais une fois dans, la cour, ils traversèrent une voûte, descendirent au jardin, et, ayant trouvé un endroit solitaire :
– Eh bien ! docteur ? demanda brusquement le chevalier en s’adressant au médecin.
– Eh bien ! messieurs, j’ai dit la vérité, répondit froidement celui-ci. Le marquis de Loc-Ronan est bien mort.
– Rien n’est simulé ?
– Tout est vrai.
– Vous en répondez ?
– J’en fais serment. Au reste, si vous doutez de mes paroles, adressez-vous à quelqu’un de mes confrères.
– Inutile ! répondit le
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