Marcof-le-malouin
l’année 1791, et que le moment était proche où toutes les provinces de l’Ouest allaient arborer l’étendard de la révolte. Les meneurs parisiens n’ignoraient pas ces dispositions de la population bretonne et de la population vendéenne. Quelques mois plus tard, le 5 octobre de la même année, MM. Gallois et Gensonné, commissaires envoyés le 19 juillet précédent dans le département de la Vendée, pour s’informer des causes de la fermentation qui s’y manifestait, avaient fait leur rapport à l’Assemblée constituante.
« L’exigence de la prestation du serment ecclésiastique, disaient-ils dans ce rapport, a été pour le département de la Vendée la première cause de ces troubles. La division des prêtres en assermentés et non assermentés a établi une véritable scission dans le peuple des paroisses. Les familles y sont divisées. On a vu et on voit chaque jour des femmes se séparer de leur mari, des enfants abandonner leur père. Les municipalités sont désorganisées. Une grande partie des citoyens ont renoncé au service de la garde nationale. Il est à craindre que les mesures vigoureuses, nécessaires dans les circonstances contre les perturbateurs de repos public, ne paraissent plutôt une persécution qu’un châtiment infligé par la loi. »
Le rapport entendu, l’Assemblée décréta qu’il serait envoyé des troupes en Vendée. Donc la Vendée s’agitait déjà, ou du moins la partie du pays où se passent les faits de ce récit, était encore à peu près calme, seulement on profitait des moindres circonstances pour animer les esprits.
La mort du marquis de Loc-Ronan arrivait comme un puissant auxiliaire au secours des agents royalistes.
La conversation des paysans bretons fut interrompue par la sonnerie lugubre des cloches. Tous se mirent en prières, et, oubliant les orages politiques pour la calamité présente, ils se disposèrent à gagner le château. Seulement, avant de partir, Yvon, après avoir échangé tout bas quelques mots avec les vieillards, fit signe qu’il voulait parler. On fit silence et on l’écouta.
– Mes gars, dit-il, demain devait avoir lieu le mariage de ma fille et la fête de la Soule. Dans un pareil moment, tout ce qui ressemblerait à une réjouissance publique serait peu convenable. Nous venons de décider, vos pères et moi, que l’une et l’autre cérémonies seraient remises à huit jours.
Les paysans s’inclinèrent en signe d’assentiment, et la population du village se réunissant sur la grande place, aux premiers rayons du soleil levant, se dirigea vers le château.
À ce moment précis deux cavaliers, lancés à fond de train sur la route de Quimper, prenaient la même direction. Ces deux cavaliers étaient le comte de Fougueray et le chevalier de Tessy. Ils avaient appris la fatale nouvelle quelques heures auparavant, et, ne pouvant en croire leurs oreilles, ils se hâtaient d’accourir. Tous deux étaient pâles, et leurs traits contractés indiquaient les émotions qui les agitaient.
– Si cela est vrai, nous sommes perdus ; disait le comte.
– Pas encore ! répondait le chevalier.
– Oh ! je n’ai guère d’espoir !
– J’en ai deux, moi.
– Lesquels ?
– Celui, d’abord, que la nouvelle est fausse ; celui, ensuite, que le marquis ait eu recours à quelque subterfuge pour essayer de nous tromper.
– Corbleu ! si telle a été sa pensée, il ignore à qui il a affaire ? Le médecin est-il parti ?
– Je l’ai réveillé moi-même, et je l’ai vu monter à cheval… Il doit être arrivé depuis près d’une heure.
– Bien.
– Il nous faudra voir le cadavre.
– Oh ! nous le verrons !
– Et si l’on s’opposait à notre examen ?
– Impossible ! Nous ferions tant de bruit que l’on n’oserait… et s’il y a fourberie…
– S’il y a tromperie, interrompit le chevalier, nous constaterons le fait, en silence ! Ce sera une arme de plus entre nos mains, et une arme terrible !…
Les deux cavaliers arrivèrent à la porte du château. La cour était pleine de paysans et de domestiques. On prit les deux arrivants pour d’anciens amis du marquis, et chacun s’empressa de leur faire place. Le comte et le chevalier mirent pied à terre. Aussitôt un homme vêtu de noir s’avança vers eux.
– Ah ! c’est vous, docteur ! fit le chevalier. Avez-vous vu notre pauvre marquis ?
– Pas encore ; je vous attendais.
– C’est bien !
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