Marcof-le-malouin
le marquis depuis trente ans…
– Cela est vrai.
– Donc, vous nous connaissez tous deux, mon frère et moi, et vous n’ignorez pas de quelle nature étaient nos relations avec le marquis ?
Jocelyn ne répondit pas. Le comte de Fougueray continua :
– Je prends votre silence pour une réponse affirmative. Donc, vous savez que votre maître était en notre puissance, et que son honneur était entre nos mains. Or, vous devez savoir aussi que l’honneur d’un gentilhomme surtout lorsque ce gentilhomme est un Loc-Ronan, vous devez savoir, dis-je, que cet honneur ne meurt point au moment où la vie s’éteint.
– Je ne vous comprends pas.
– En d’autres termes, je veux dire que, vivant ou mort, le marquis de Loc-Ronan peut être déshonoré par nous.
– Quoi ! vous voudriez ?…
– Attendez donc ! La mort du marquis est un obstacle à l’exécution de certaines conventions arrêtées entre nous, conventions d’où dépend notre fortune à venir, et dont l’inexécution nous porte un préjudice déplorable. Or, vous comprenez sans peine que nous éprouvions en ce moment quelques velléités de vengeance contre ce marquis qui vient nous frustrer !… Il est mort, cela est vrai, et nous ne pouvons nous en prendre à son corps ; mais sa mémoire et son nom nous restent, et nous sommes décidés à les livrer à l’infamie !
– Mais c’est horrible ! s’écria Jocelyn.
– Que pensez-vous de cette résolution, estimable serviteur ? parlez sans crainte…
– Je pense que vous êtes des misérables !
– Paroles perdues que tout cela !
– Et vous croyez que je vous laisserai agir ?
– Parbleu !
– Eh bien ! vous vous trompez !
– Vraiment ?
– Je vais…
– Ameuter ces drôles contre nous ? interrompit le comte en désignant les paysans assemblés dans la cour. Erreur, mon cher, grave erreur ! Ce serait le moyen le plus certain de voir déshonorer à l’instant la mémoire de votre maître. Nous ne sommes pas si nigauds que de nous être mis de cette façon à la merci des gens ! Nous jeter ainsi dans la gueule du loup, pour qu’il nous croque !… Allons donc ! Le chevalier et moi sommes des gens fort adroits, mon cher Jocelyn. Vous avez vu, lorsqu’il y a quelques jours le marquis voulut faire de nous un massacre général, qu’il a suffi d’un seul mot pour le désarmer et l’amener à composition ? Sachez bien, mon brave ami, que les papiers qui renferment les secrets de la vie de votre maître sont déposés à Quimper, entre les mains d’une personne qui nous est toute dévouée… Si, par un hasard quelconque, nous ne reparaissions pas ce soir, ces papiers seraient remis à l’instant entre les mains de la justice. Or, vous n’ignorez pas, vous qui êtes au courant des événements politiques, que la justice aime assez en ce moment à courir sus aux bons gentilshommes, pour flatter les instincts populaires en vue de ce qui doit arriver ? Donc, quoi que vous fassiez, si nous ne nous entendons pas, le marquis de Loc-Ronan, mort ou vivant, sera jugé !
– Vous n’oseriez évoquer cette affaire ! répondit Jocelyn.
– Pourquoi pas ?
– Parce que je raconterais la vérité, moi !
– Vraiment !
– Je dirais ce que vous avez fait.
– Et quoi donc ! qu’avons-nous fait ?
– Je dirais que vous avez spéculé sur ce secret pour arracher des sommes énormes à mon maître. Enfin, je raconterais votre dernière visite.
– Bah ! on ne vous croirait pas !
– On ne me croirait pas ! s’écria Jocelyn avec impétuosité.
– Eh non ! Quelle preuve avez-vous ? Nous démentirons vos paroles.
– Mon Dieu ! Mais enfin que voulez-vous de moi ?
– Vous prévenir que nous allons agir.
– Oh ! non ! vous ne le ferez pas !…
– Si fait, parbleu !
– Messieurs ! messieurs ! je vous en conjure ! Rappelez-vous que mon pauvre maître vous a toujours comblés de bienfaits. Ne déshonorez pas sa mémoire ne révélez pas cet affreux mystère, oh ! je vous en supplie !… Voyez ! je me traîne à vos genoux. Dites, dites que vous ne remuerez pas les cendres qui reposent au fond d’un cercueil ? Mon Dieu ! mais quel intérêt vous pousserait ? La vengeance est stérile !
Tout en parlant ainsi, Jocelyn, les yeux pleins de larmes, les mains suppliantes, s’adressait tour à tour au chevalier et au comte. En voyant le désespoir du fidèle serviteur, le comte lança à son compagnon un
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