Marcof-le-malouin
comte en frappant du pied avec colère ; inutile ! Nous n’avons plus besoin de vous, docteur.
– Je puis repartir ?
– Quand vous voudrez.
– Nous vous reverrons ce soir à Quimper, ajouta le chevalier, et nous vous récompenserons de vos peines et de vos bons soins.
Le médecin s’inclina et sortit du petit parc. Les deux hommes, demeurés seuls, se regardèrent pendant quelques minutes avec anxiété. Puis le comte laissa s’échapper de ses lèvres une série de malédictions qui, si elles eussent été entendues, auraient singulièrement compromis sa douleur affectée.
– Sang du Christ ! murmura-t-il ; corps du diable ! nous sommes ruinés, Raphaël !
– Chut ! pas de noms propres ici ! répliqua vivement le chevalier.
Il y eut un instant de silence. Tout à coup le comte releva fièrement la tête. Une pensée soudaine illumina son front soucieux.
– Que faire ? demanda le chevalier.
– Voir Jocelyn à l’instant même.
– Pourquoi ?
– J’ai un projet.
– Est-il bon, ce projet ?
– Tu en jugeras, Raphaël, viens avec moi.
Le comte rencontra Jocelyn dans la cour. Il alla droit à lui, et, le prenant à part :
– Nous avons à vous parler, lui dit-il.
– À moi ? répondit le serviteur étonné.
– À vous-même, sans retard et sans témoins.
– Mais, dans un semblable moment… balbutia Jocelyn.
– C’est justement le moment qui nous décide et qui nous fournira le sujet de notre conférence.
– Soit, messieurs, je suis à vos ordres…
– Alors conduisez-nous quelque part où l’on ne puisse nous entendre.
– Montons à la bibliothèque.
– Montons !
Les trois hommes gravirent rapidement le premier étage de l’escalier du château. Jocelyn introduisit ses deux interlocuteurs dans la petite pièce que nous connaissons déjà. Rien n’y était changé. Les livres que le marquis avait feuilletés la veille au matin étaient encore ouverts sur la table. Jocelyn poussa un soupir. Le comte et le chevalier n’y prêtèrent pas la moindre attention. Seulement ils s’assurèrent que personne ne pouvait les entendre. Cette précaution prise, ils attirèrent à eux des siéges.
– Pas là ! s’écria Jocelyn en voyant le comte s’emparer du fauteuil armorié que nous avons décrit précédemment.
– Que dites-vous ?
– Je dis que vous ne vous assiérez pas dans ce fauteuil, fit résolûment le serviteur en éloignant ce meuble révéré.
– Ah ! c’est le fauteuil de feu le marquis ! répondit le comte avec insouciance et en prenant un autre siége. Soit, je ne vous contrarierai pas pour si peu. Puis je vous jure que la chose m’est complètement indifférente.
– Jocelyn, dit à son tour le chevalier, mon frère a le désir de vous faire une communication importante.
– Je vous écoute, répondit Jocelyn en demeurant debout, non par respect, mais par habitude. Seulement je vous ferai observer que j’ai peu de temps à vous donner.
– Oh ! soyez sans crainte, estimable Jocelyn, fit le comte en souriant ; je serai bref dans mon discours, et il ne tiendra qu’à vous de terminer promptement notre conversation…
– Veuillez donc commencer…
– Ça, d’abord, maître valet ! il me semble que vous manquez étrangement, vis-à-vis de nous, au respect qu’un manant de votre sorte doit à deux gentilshommes tels que le chevalier de Tessy et moi.
– Tout manant que je sois, répondit Jocelyn avec hauteur, sachez bien que j’ai quelque influence ici. Tous ces braves paysans qui remplissent la cour et le parc adoraient mon pauvre maître ; si je leur disais que les tortures que vous lui avez infligées l’ont conduit au tombeau, soyez convaincus que vous ne sortiriez pas vivants de ce château, et que, tout bons gentilshommes que vous puissiez être, vous seriez infailliblement pendus aux grilles avant que cinq minutes se fussent écoulées…
– Oses-tu bien parler ainsi, drôle ?
– Êtes-vous curieux d’en faire l’expérience ?…
Jocelyn se dirigeait vers la porte.
– Nous ne sommes pas venus pour discuter avec vous, fit vivement le chevalier. Écoutez-nous, mon cher Jocelyn, et vous agirez ensuite comme bon vous semblera.
– Eh bien ! je vous l’ai déjà dit ; parlez promptement, messieurs, je vous écoute…
– Jocelyn, reprit le comte, vous aviez toute la confiance de votre maître ?
– J’avais effectivement cet honneur.
– Vous n’avez jamais quitté
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