Marcof-le-malouin
château, eut annoncé la mort du dernier des Loc-Ronan, toute la campagne environnante était instruite de cette mort, et, le soir même, le bruit en arrivait à Quimper. Ceux qui ne connaissaient pas assez le marquis pour l’aimer, l’estimaient profondément.
Partout ce furent des regrets, mais nulle part cependant, la désolation ne fut aussi vive qu’à Fouesnan. Après la mort de son maître, le vieux Jocelyn avait fait faire tous les préparatifs nécessaires pour la célébration d’un service somptueux.
En deux heures, la physionomie du vieux serviteur avait subi une transformation étrange et mystérieuse. Ses yeux brillaient d’un éclat fiévreux. Ses mains s’agitaient convulsivement. Tout son corps paraissait en proie à des secousses galvaniques. À chaque instant il pénétrait dans la chambre mortuaire. Sous un prétexte quelconque, il en éloignait tout le monde, à l’exception du recteur, qui, agenouillé au pied du grand lit, priait à voix haute pour le repos de l’âme du défunt. Jocelyn, alors, s’approchait du cadavre. Il le contemplait longuement en attachant sur lui des regards humides de larmes. Par moments des lueurs de désespoir sombre, auxquelles succédaient d’autres lueurs d’espérance folle, étincelaient dans ses yeux et faisaient jaillir des éclairs fauves de ses prunelles. Puis, s’agenouillant et joignant ses prières à celles du prêtre, il s’inclinait sur la main glacée du marquis et la baisait avec un sentiment de respect et d’amour. Quand Jocelyn se relevait, il paraissait plus calme.
Pendant ce temps, des ouvriers appelés en toute hâte, auxquels les paysans prêtaient le secours de leurs bras, élevaient une estrade dans la chapelle du château. Aux quatre coins de cette estrade, on plaçait quatre brûle-parfums d’argent massif. On tendait les murailles avec des draps noirs. Les armes des Loc-Ronan, voilées d’un crêpe funèbre, y étaient appendues de distance en distance, et ajoutaient à la tristesse de l’ensemble. Des profusions de cierges se dressaient dans d’énormes chandeliers d’église.
À deux heures du soir, la chapelle ardente était prête. Alors on plaça le corps du marquis, vêtu de ses plus riches habits et décoré des ordres du roi, dans une bière tout ouverte. Les domestiques, en grand deuil, ne voulurent céder à personne l’honneur de porter le corps de leur maître. Le cortége se mit en devoir de descendre l’escalier de marbre du château. Les clergés des villages voisins étaient accourus accompagnés des populations entières. Les paysans chantaient des psaumes. Les femmes éplorées les suivaient. Tous pleuraient, et pleuraient amèrement celui qui était moins leur maître que leur bienfaiteur et leur ami.
Parmi les jeunes filles, on distinguait Yvonne, plus triste encore que ses compagnes. Le vieil Yvon et les autres vieillards accompagnaient les recteurs et les vicaires précédés du bon prêtre de Fouesnan.
On déposa le cercueil sur l’estrade. Quatre prêtres demeurèrent dans la chapelle pour veiller le corps. Puis la foule s’écoula tristement. Tous devaient revenir le lendemain, car le lendemain était le jour fixé pour la cérémonie funèbre.
XIV – LES FUNÉRAILLES.
Bien avant que les premières lueurs de l’aube naissante vinssent teinter l’horizon de nuances orangées, les cloches des églises environnantes firent entendre leur glas sinistre. Presque partout les paysans étaient demeurés en prières pendant la plus grande partie de la nuit. Des cierges brûlaient sur tous les autels. Les femmes et les jeunes filles préparaient les vêtements noirs et bleus, qui sont les couleurs du deuil en Bretagne. Mais, nulle part la douleur n’était aussi profonde qu’à Fouesnan.
Les principaux habitants avaient passé la nuit dans la maison d’Yvon. Tandis que les femmes priaient dans une salle voisine, les hommes causaient à voix basse, se racontaient mutuellement les nombreux traits de bienfaisance qui avaient honoré la vie du défunt.
– Je n’étais pas son fermier, disait Jahoua, je ne suis pas né sur ses terres, et pourtant je l’aimais comme s’il eût été mon seigneur.
– Et dire que voilà une si noble famille éteinte ! fit le vieil Yvon en passant la main sur ses yeux ; c’est une vraie calamité pour le pays.
– Une vraie calamité, eh ! oui… répondit un paysan, car, enfin, qui sait entre quelles mains vont passer les domaines ? À qui
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