Marcof-le-malouin
regard de triomphe. Puis, revenant à Jocelyn, il sembla prêt à se laisser fléchir.
– Peut-être dépend-il de vous que nous n’agissions pas ainsi que nous l’avons résolu, dit-il.
– Eh ! que dois-je faire pour cela ?
– Répondre franchement.
– À quoi ?
– À ce que nous allons vous demander.
– Parlez donc, messieurs, et si je puis vous répondre selon vos désirs, je le ferai.
– Le marquis a-t-il fait un testament ?
– Je n’en sais rien ; mais je ne le crois pas.
– Alors, n’ayant eu aucun enfant de ses deux mariages, ses biens reviendront à des collatéraux ?
– C’est possible.
Le comte et le chevalier poussèrent un profond soupir.
– Jocelyn, dit brusquement le comte, venons au fait. Nous ne pouvons malheureusement rien prétendre sur l’héritage ; mais, avant que la justice soit venue ici mettre les scellés, nous sommes les maîtres de la maison… Or, la justice va venir avant une heure ; d’ici là, agissons.
– Que voulez-vous donc ? demanda Jocelyn.
– Nous voulons que tu nous livres immédiatement tout ce qu’il y a au château, d’or, d’argent et de pierreries…
– Mais…
– Oh ! n’hésite pas ! l’honneur de ton maître te met à notre discrétion ; souviens-toi !…
– Messieurs, je ne puis…
– Dépêche-toi !… te dis-je.
– On m’accusera de vol ! Encore une fois…
– Encore une fois, dépêche-toi ! ou, je te le jure par tous les démons de l’enfer ! si tu nous laisses sortir d’ici les mains vides, avant qu’il soit nuit, nous aurons publié dans tout le pays la bigamie du marquis de Loc-Ronan.
Jocelyn demeura pendant quelques secondes indécis. Un violent combat se lisait sur sa figure et contractait sa physionomie expressive. Enfin, il sembla avoir pris un parti.
– Venez ! dit-il, je vais faire ce que vous me demandez, mais que le crime en retombe sur vous !
– C’est bon ! nous achèterons des indulgences à Rome ! répondit le marquis ; nous sommes au mieux avec trois cardinaux !…
Jocelyn conduisit les deux hommes dans une pièce voisine qui contenait les annales du château et de la famille des Loc-Ronan. Il prit une clef qu’il tira de la poche de son habit, et il ouvrit une énorme armoire en chêne toute doublée de fer. Cette armoire était, à l’intérieur, composée de divers compartiments. Le comte exigea qu’ils fussent ouverts successivement. À l’exception d’un seul, ils renfermaient des papiers. Mais ce que contenait le dernier valait la peine d’une recherche minutieuse. Il y avait là, enfermées dans une petite caisse en fer ciselé, des valeurs pour plus de cent cinquante mille livres ; les unes en des traites sur l’intendance de Brest, d’autres sur celle de Rennes ; puis des diamants de famille non montés, de l’or pour une somme de près de trente mille livres, etc., etc.
Le comte et le chevalier, éblouis par la vue de tant de richesses et n’espérant pas trouver un pareil trésor, ne purent retenir un mouvement de joie. Sans plus tarder ils s’emparèrent des traites, toutes au porteur, et des diamants qu’ils firent disparaître dans leurs poches profondes. À les voir ainsi âpres à la curée, on devinait les bandits sous les gentilshommes. Jocelyn les connaissait bien, probablement, car il ne s’étonna pas.
Restait l’or dont le volume offrait un obstacle pour l’emporter facilement. Le comte fit preuve alors de toute l’ingéniosité de son esprit fertile en expédients. Après en avoir fait prendre au chevalier et après en avoir pris lui-même tout ce qu’ils pouvaient porter, il versa le reste des louis dans une sacoche qu’il se fit donner par Jocelyn. Puis, dégrafant son manteau, il l’enroula autour du sac et il passa le tout sur son bras en arrangeant les plis de manière à dissimuler le fardeau.
– Là ! dit-il quand cela fut fait ; maintenant, mon brave Jocelyn, tu vas nous reconduire avec force politesse, et pour te récompenser de ton zèle, nous te jurons que tu n’entendras plus jamais parler de nous !
Jocelyn leva les yeux au ciel en signe de remerciement et s’empressa de précéder les deux larrons.
XVI – LA ROUTE DES FALAISES.
Au moment où le comte et le chevalier se mettaient en selle, le lieutenant civil de Quimper, accompagné de divers magistrats et suivi d’une escorte, arrivait au château pour dresser un inventaire détaillé et apposer officiellement les scellés. Le
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