Marcof-le-malouin
doute.
– C’est demain, je crois, que la chose doit avoir lieu ?
– Demain, après la célébration du mariage.
– Ah ! par ma foi ! je ris de bon cœur en songeant à la figure que fera le marié !
– Oui, ce sera, j’imagine, assez réjouissant à voir. Les deux hommes se laissèrent aller à un joyeux accent d’hilarité.
– Quant à la retraite dont tu parles, reprit le comte en redevenant sérieux, il nous faudra nous en occuper ces jours-ci.
– Nous en parlerons à Carfor.
– Pourquoi nous fier à lui ?
– Il connaît le pays.
– Crois-moi, Raphaël, en ces sortes de choses mieux vaut agir soi-même et sans l’aide de personne.
– Eh bien ! nous agirons…
– C’est cela ; mais avant tout, il faut songer à mettre notre trésor à l’abri des mains profanes.
– Bien entendu, Diégo ; allons d’abord à Quimper. Dès demain, nous entrerons en campagne.
– C’est arrêté !
Les deux cavaliers, suivant la route escarpée des falaises, dominaient la hauts mer, nous le savons. Le ciel était pur, la brume, presque constante sur cette partie des côtes, s’était évanouie sous les rayons ardents du soleil ; l’atmosphère limpide permettait à la vue de s’étendre jusqu’aux plus extrêmes limites de l’horizon. Le comte, qui laissait errer ses regards sur l’Océan, arrêta si brusquement son cheval que l’animal, surpris par le mors, pointa en se jetant de côté.
– Raphaël ! dit le comte. Regarde ! Là, sur notre gauche.
– Eh bien ?
– Tu ne vois pas ce navire qui court si rapidement vers Penmarckh ?
– Si fait, je le vois. Mais que nous importe ce navire ?
– Dieu me damne ! si ce n’est pas le lougre de Marcof.
– Le lougre de Marcof ! répéta Raphaël.
– C’est le Jean-Louis , sang du Christ ! Je le reconnais à sa mâture élevée et à ses allures de brick de guerre.
– Impossible ! Le paysan que nous avons rencontré il y a trois jours à peine, nous a dit que Marcof était allé à Paimbœuf et qu’il ne reviendrait que dans douze jours au plus tôt.
– Je le sais ; mais néanmoins, c’est le Jean-Louis , j’en réponds !…
– Marcof n’est peut-être pas à bord.
– Allons donc ! Le Jean-Louis ne prend jamais la mer sans son damné patron.
– Alors si c’est Marcof, Diégo, raison de plus pour chercher promptement un asile sûr !…
– C’est mon avis, Raphaël ; car si ce diable incarné connaît la vérité, et Jocelyn la lui apprendra sans doute, il va se mettre à nos trousses. Or, je l’ai vu à l’œuvre, et je sais de quoi il est capable. Je suis brave, Raphaël, je ne crains personne, et tu as assisté, près de moi, à plus d’une rencontre périlleuse, n’est-ce pas ? Eh bien !… tout brave que je sois et que tu sois toi-même, nous ne pouvons rivaliser d’audace et d’intrépidité avec cet homme. Il semble que la lutte, le carnage et la mort soient ses éléments. Marcof, sans armes, attaquerait sans hésiter deux hommes armés, et je crois, sur mon âme, qu’il sortirait vainqueur de la lutte ! Hâtons-nous donc de regagner Quimper, Raphaël, et mettons sans plus tarder ton sage projet à exécution. Un jour nous trouverons l’occasion de nous défaire de cet homme, j’en ai le pressentiment ! Mais, en ce moment, ne compromettons point l’avenir par une imprudence.
Le comte et le chevalier, pressant leurs montures, quittèrent la route des falaises en prenant la direction de Quimper.
XVII – MARCOF.
Le comte de Fougueray ne s’était pas trompé, c’était bien le lougre de Marcof qu’il avait aperçu au loin sur la mer. Cette fois, comme le ciel était pur et la brise favorable, le Jean-Louis avait donné au vent tout ce qu’il avait de toile sur ses vergues.
Le petit navire fendait la lame avec une rapidité merveilleuse, et Bervic, qui venait de jeter le loch, avait constaté la vitesse remarquable de quatorze nœuds à l’heure.
Le comte n’avait pas été le seul à constater l’arrivée inattendue du lougre. Un homme qu’il n’avait pu voir, caché qu’il était par la falaise, un homme, disons-nous, suivait depuis longtemps les moindres mouvements du Jean-Louis . Cet homme était Keinec.
Se promenant avec agitation sur la grève rocailleuse, il s’arrêtait de temps à autre, interrogeait l’horizon et reportait ses regards sur un canot amarré à ses pieds. Au gré de son impatience, le lougre n’avançait pas assez
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