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Marcof-le-malouin

Marcof-le-malouin

Titel: Marcof-le-malouin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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le marquis de Loc-Ronan, entends-tu ? le marquis de Loc-Ronan, c’était tout ce que j’adorais ici-bas ! Je n’ai jamais embrassé ni mon père ni ma mère, moi, Keinec ! Je n’ai jamais connu la tendresse d’un frère ! Je n’ai jamais éprouvé de l’amour pour une femme ! Eh bien ! rassemble tous ces sentiments, pétris-les pour n’en former qu’un seul. Joins-y l’admiration, l’estime, le respect, et tu n’auras pas encore une idée de ce que je ressentais pour le marquis de Loc-Ronan !… Tu ne me comprends pas ? Tu ne t’expliques pas comment il peut se faire qu’un obscur matelot comme moi porte une telle affection à un gentilhomme d’une ancienne et illustre famille ?… C’est un secret, Keinec, un secret que je t’expliquerai peut-être un jour. Aujourd’hui sache seulement que tout ce que le cœur peut endurer de tortures, le mien le supporte à cette heure !… Oh ! je suis bien malheureux ! bien malheureux !…
    Et il murmura à voix basse :
    – Mon Dieu ! vous me punissez trop cruellement. Il fallait me frapper, moi, et l’épargner, lui !
    Keinec comprenait qu’en face d’un pareil désespoir les consolations seraient impuissantes. Il écoutait donc en silence, et profondément ému lui-même. Marcof se calma peu à peu.
    – Matelot, dit-il, crois-tu que nous arrivions à temps pour assister à l’office des morts ?…
    – Ne l’espère pas, répondit Keinec. À l’heure où j’ai quitté la côte, les prières étaient commencées, et maintenant le corps du marquis repose dans le caveau mortuaire du château.
    – Ne pas avoir revu ses traits !… ne plus le revoir jamais ! murmurait avec amertume le patron du Jean-Louis .
    Une pensée subite sembla l’illuminer tout à coup.
    – Keinec ! s’écria-t-il.
    – Que veux-tu ?
    – Tu m’aimes, n’est-ce pas ?
    – Oui.
    – Tu m’es fidèle ?
    – Oui, Marcof, fidèle et dévoué !…
    – J’aurai besoin de toi cette nuit ; peux-tu m’aider ?
    – Cette nuit, comme toujours, je suis à toi !
    – Bien.
    – À quelle heure veux-tu que je sois prêt ?
    – À dix heures. Trouve-toi dans la montagne, auprès du mur du parc, à l’angle du sentier qui rejoint l’avenue.
    – J’y serai.
    – Merci, mon gars.
    – Puis-je encore autre chose pour toi ?
    – Oui. Nous approchons de Penmarckh ; monte sur le pont et prends le commandement du lougre pour franchir la passe.
    Keinec obéit et Marcof demeura seul. Alors face à face avec lui-même, l’homme de bronze se laissa aller à toute l’expansion de sa douleur. Pendant deux heures, prières et cris d’angoisse s’échappèrent confusément de ses lèvres. Ses yeux devenus arides, étaient bordés d’un cercle écarlate. Sa main puissante anéantissait les objets qu’elle prenait convulsivement. Enfin, le corps brisé, l’âme torturée, Marcof se jeta sur son hamac.
    La douleur avait terrassé cette vaillante nature !… Jusqu’à la nuit Marcof ne bougea plus. Deux fois le mousse chargé du soin de préparer son repas entra dans la cabine. Deux fois le pauvre enfant sortit sans avoir osé troubler les rêveries désolées de son chef.
    Les matelots, stupéfaits de ne pas avoir vu Marcof présider au mouillage, s’interrogeaient du regard. Le vieux Bervic surtout exprimait sa surprise par des bordées de jurons énergiques empruntés à toutes les langues connues, et qui s’échappaient de sa large bouche avec une facilité résultant de la grande habitude. Keinec avait formellement défendu aux matelots de descendre dans l’entre-pont. Le jeune homme voulait qu’on laissât Marcof libre dans sa douleur.
    Vers huit heures du soir, Marcof se jeta à bas de son hamac. Il ouvrit un meuble et il en tira une petite clé d’abord, puis une plus grande, et il les serra précieusement toutes deux dans la poche de sa veste. Il passa ses pistolets à sa ceinture. Il prit une courte hache d’abordage, et une forte pioche qu’il roula dans son caban. Cela fait, il mit le tout sous son bras et monta sur le pont.
    Il jeta un long regard sur son lougre, il passa devant Bervic sans prononcer une parole, et il descendit à terre. Il traversa rapidement Penmarck, il prit le chemin des Pierres-Noires, et, tournant brusquement sur la gauche, il se dirigea vers les montagnes. La nuit était noire. La lune ne s’était point encore levée, et une brume assez forte couvrait la terre.
    Arrivé au pied de la demeure

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