Marcof-le-malouin
leurs bras, la dalle se souleva lentement, puis elle glissa sur le bord opposé et tomba sur la terre molle. Le sépulcre était ouvert. Marcof fit un signe de croix sur le vide et dit à Keinec :
– Je vais descendre, allume la seconde torche qui est dans mon caban, et tu me la donneras.
Keinec obéit.
– Bien. Maintenant, matelot, prends le paquet de cordes et donne-le moi aussi.
Marcof enroula les cordes autour de son bras droit, et éclairé par Keinec, il descendit avec précaution dans le caveau. La bière reposait sur deux barres de fer scellées dans la muraille. Marcof l’attacha solidement, puis pressant l’extrémité de la corde entre ses dents, il remonta. Keinec, devinant ses intentions, saisit le cordage, et tous deux tirèrent doucement, sans secousses, pour hisser le cercueil à l’orifice du caveau.
La tâche était rude et difficile, car le cercueil, en chêne massif et doublé de plomb, était d’une extrême pesanteur. Mais la volonté froide et inébranlable de Marcof décuplait ses forces. Keinec l’aidait de tout son pouvoir.
Après un travail opiniâtre, l’extrémité du cercueil apparut enfin. Les deux hommes redoublèrent d’efforts. Marcof, laissant à son compagnon le soin de maintenir en équilibre le funèbre fardeau, quitta la corde, se glissa dans le caveau et poussa le cercueil de toute la vigueur de ses mains puissantes. Keinec l’attira à lui.
Certes, quiconque eût pu assister à ce spectacle, aurait cru à quelque effroyable profanation. L’ensemble de ces deux hommes ainsi occupés, offrait un aspect fantastique et lugubre. Travaillant dans ce caveau sépulcral à la pâle clarté de deux torches vacillantes qui laissaient dans l’obscurité les trois quarts du souterrain, on les eût pris pour deux de ces vampires des légendes du moyen-âge qui déterraient les corps fraîchement ensevelis, pour satisfaire leur infâme et dégoûtante voracité. Leurs vêtements en désordre, leur figure pâle, leurs longs cheveux flottants ajoutaient encore à l’illusion. Et cependant c’était l’amour fraternel qui conduisait l’un de ces hardis fossoyeurs ; c’était l’amitié qui guidait l’autre !… Marcof voulait revoir les restes chéris de celui qu’il avait perdu. Keinec aidait Marcof dans l’accomplissement de ce pieux désir, parce que Marcof était son ami.
Encore quelques efforts et leur travail pénible allait être couronné de succès. Marcof voyant la bière maintenue par Keinec, se hissa hors du tombeau. Puis tous deux attirèrent le cercueil pour le déposer doucement à terre.
Malheureusement ils avaient compté sans le poids énorme du cercueil. À peine l’eurent-ils incliné de leur côté, que la masse les entraîna. Leurs ongles se brisèrent sur le coffre de chêne ; le cercueil, poussé par sa propre pesanteur, fit plier leurs genoux. En vain ils firent un effort suprême pour le retenir, ils ne purent en venir à bout. La bière tomba lourdement à terre.
Marcof poussa un cri de douleur. Keinec laissa échapper une exclamation de terreur folle, et il recula comme pris de vertige, jusqu’à ce qu’il fût adossé à la muraille. C’est qu’en tombant à terre le cercueil, au lieu de rendre un son mat, avait semblé pousser un soupir métallique. On eût dit plusieurs feuilles de cuivre frappant, les unes contre les autres.
Keinec et Marcof se regardèrent. Ils frémissaient tous deux.
– As-tu entendu ? demanda Keinec à voix basse.
– Quoi ? Qu’est-ce que cela ?
– L’âme du marquis qui revient !
– Oh ! si cela pouvait être ! fit Marcof en s’inclinant, ce serait trop de bonheur.
– Marcof, si tu m’en crois, tu renonceras à ton projet.
– Non !
– Eh bien ! achevons donc à l’instant, car j’étouffe ici !…
– Achevons.
Ils déclouèrent la bière. Au moment d’enlever le couvercle ils s’arrêtèrent tous deux et firent le signe de la croix. Puis, d’une main ferme, Marcof souleva les planches déclouées.
Un long suaire blanc leur apparut.
Marcof porta la main sur l’extrémité du suaire pour le soulever à son tour. Keinec recula. Marcof écarta le linceul et se pencha en avant. Ses yeux devinrent hagards, ses cheveux se hérissèrent, il poussa un grand cri et tomba à genoux.
– Keinec ! s’écria-t-il, le marquis n’est pas mort.
Keinec, domptant sa terreur, se précipita vers lui.
– Keinec, reprit Marcof, le marquis n’est pas mort.
– Que
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