Marcof-le-malouin
et ce que nous devons faire…
Le comte s’approcha du lit, prit le bras de la malade, et après avoir réfléchi quelques minutes :
– Raphaël a fait une sottise qui ne lui profitera guère, répondit-il froidement.
– Pourquoi ?
– Parce que la petite est atteinte d’une fièvre cérébrale, que nous n’avons aucun médicament ici pour la soigner, et qu’avant quarante-huit heures elle sera morte.
– Yvonne sera morte ? s’écria Raphaël qui venait d’entrer.
– Tu as entendu ? Eh bien, j’ai dit la vérité !
– Et ne peux-tu rien, Diégo ?
– Je vais la saigner ; mais mon opinion est arrêtée : mauvaise affaire, cher ami, mauvaise affaire ; c’est une centaine de louis que tu as jeté à la mer.
Et le comte, prenant une petite trousse de voyage qu’il portait toujours sur lui, en tira une lancette et ouvrit la veine de la jeune fille, qui ne parut pas avoir conscience de cette opération.
*
* *
Le comte de Fougueray, en venant habiter l’abbaye déserte de Plogastel, avait choisi pour corps-de-logis l’aile où étaient situés les appartements de l’ancienne abbesse. Ce couvent, l’un des plus considérables de la Bretagne, renfermait jadis plus de quatre cents religieuses. Simple chapelle aux premières années de la Bretagne chrétienne, il s’était peu à peu transformé en imposante abbaye. Aussi les divers bâtiments qui le composaient avaient-ils chacun le cachet d’une époque différente. Le style gothique surtout y dominait et découpait sur la façade du centre ses plus riches dessins et ses plus merveilleuses dentelles.
Placé jadis sous la protection toute spéciale des ducs de Bretagne, qui avaient vu plusieurs des filles de leur sang princier quitter le monde pour se retirer au fond de cette magnifique abbaye, le cloître, l’un des plus riches de la province, avait acquis une réputation méritée de sainteté et d’honneur. Comme dans les chapitres nobles de l’Allemagne, il fallait faire ses preuves pour voir les portes du couvent s’ouvrir devant la vierge qui désertait la famille pour se fiancer au Christ. Aussi est-il facile de se figurer l’élégance et le caractère solennel de ces bâtiments spacieux, aérés, adossés à un splendide jardin dont eût, à bon droit, été jaloux plus d’un parc seigneurial.
L’aile opposée à celle occupée par Diégo et les siens s’étendait vers le nord. Autrefois consacrée aux religieuses, elle ne contenait que des cellules étroites et sombres ; c’est ce qui l’avait fait dédaigner par le comte. Seulement, celui-ci ignorait qu’au-dessous des étages des cellules s’élevant sur le sol, existait un second étage souterrain d’autres cellules plus étroites encore, et naturellement plus sombres que les premières. Rien, extérieurement, ne pouvait indiquer l’existence de ces sortes de caves organisées en habitation. Il fallait faire jouer un ressort habilement caché dans la muraille, pour découvrir la porte donnant sur l’escalier qui y conduisait. Du côté des souterrains, souterrains que le comte avait entièrement parcourus, aucun indice ne laissait soupçonner ces cachettes impénétrables. Le couvent de Plogastel, construit au moyen-âge par des moines et des gentilshommes entrés en religion, offrait le type complet de ces établissements mystérieux, où la partie des bâtisses s’élevant au soleil n’était pas toujours la plus importante. Ainsi, passages secrets, impasses, souterrains, prisons, oubliettes, s’y trouvaient à profusion et semblaient défier la curiosité.
Dans cet étage de cellules construites sous le sol, dans l’une de ces pièces obscures et étroites qui reçoivent toute leur lumière d’un petit soupirail artistement dissimulé au dehors par des arabesques sculptées dans le mur, se trouvait une belle jeune femme de trente à trente-cinq ans, aux yeux bleus et doux, aux blonds cheveux à demi cachés par une coiffe blanche. Cette femme portait l’ancien costume des nonnes de l’abbaye : la robe de laine blanche, la coiffure de toile blanche et la ceinture violette. Sous ce vêtement d’une simplicité extrême, la religieuse était belle, de cette beauté que les peintres s’accordent à prêter aux anges.
Agenouillée devant sa modeste couche surmontée d’un Christ en ivoire, elle priait dévotement en tenant entre ses mains un chapelet surchargé de médailles d’or et d’argent. À peine terminait-elle ses oraisons,
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