Marcof-le-malouin
baissant la voix, bien qu’il parlât toujours italien, et peut-être même ramerions-nous à bord de quelque tartane de Sa Majesté le roi de Naples.
Le chevalier frissonna involontairement en entendant ces paroles si étranges ; puis jetant un coup d’œil sur Yvonne qui était agenouillée et priait avec ferveur :
– Viens ! dit-il.
Les deux hommes sortirent et poussèrent les verrous extérieurs. Ils traversèrent un long corridor et pénétrèrent dans une sorte d’antichambre ornée de torchères d’argent massif. Trois portes différentes s’ouvraient sur cette pièce. Le comte souleva familièrement une portière en s’effaçant pour livrer passage au chevalier.
– Entre, mio caro ! fit-il railleusement. Hermosa se plaint de ne pas t’avoir vu depuis vingt-quatre heures !
La nouvelle pièce sur le seuil de laquelle se trouvaient Diégo et Raphaël (car désormais nous ne leur donnerons plus que ces noms qui sont véritablement les leurs), cette nouvelle pièce, disons-nous, servait évidemment d’oratoire à l’abbesse de Plogastel. Elle avait encore conservé une partie de ses somptuosités. Une tenture en soie de couleur violette, toute parsemée d’étoiles d’argent, tapissait les murailles. Des vitraux admirablement peints ornaient les fenêtres ogivales. Deux tableaux de sainteté, chefs-d’œuvre des grands maîtres italiens, étaient appendus aux murs.
On comprenait, en voyant toutes ces choses, que les religieuses, ne pouvant croire à une expulsion violente, n’avaient pris aucune précaution, et que les gendarmes les avaient surprises et arrachées au luxe des cloîtres (si luxueux alors), sans qu’elles eussent le temps de sauver les débris. Les bandes noires n’étaient pas alors suffisamment organisées, de sorte que les richesses laissées sans gardiens avaient cependant été respectées.
Dans le fond de la pièce, étendue mollement dans une vaste bergère, on apercevait une femme qui, vue à distance, produisait cette impression que cause la souveraine beauté. En se rapprochant même, on voyait que cette femme, quoiqu’elle eût depuis longtemps dépassé les limites de la première jeunesse, pouvait soutenir encore un examen attentif. De magnifiques cheveux noirs, que la poudre n’avait jamais touchés en dépit de la mode. Un nez romain, d’une finesse et d’un dessin irréprochables. Une bouche mignonne, aux lèvres rouges. Des yeux de Sicilienne, surmontés de sourcils mauresques. Le teint était brun et mat comme celui des femmes du Midi, qui ne craignent pas de braver les rayons de flamme de leur soleil.
Mais, en examinant avec plus d’attention, on apercevait aux tempes quelques rides habilement dissimulées. Les plis de la bouche étaient un peu fanés. Les contours du visage avaient perdu de leur fraîcheur et s’étaient arrêtés. Néanmoins, si l’on veut bien joindre à l’ensemble, un cou remarquable de forme, une taille bien prise, une poitrine fort belle, une main d’enfant et un pied patricien, on conviendra que, telle qu’elle était encore, cette femme pouvait passer pour une créature fort séduisante. Seulement, on demeurait émerveillé en songeant à ce qu’elle avait dû être à vingt ans.
Au moment où les deux hommes pénétraient dans l’oratoire, Hermosa avait auprès d’elle un jeune garçon de dix à onze ans, blond et rose comme une fille, et qui semblait fort gravement occupé à tirer les longues oreilles d’un magnifique épagneul couché aux pieds de la dame. De temps en temps le chien poussait un petit cri de douleur et secouait sa tête intelligente, puis il se prêtait de bonne grâce à la continuation de ce jeu qui devait souverainement lui déplaire, mais qui charmait l’enfant.
– Tableau de famille ! s’écria le comte. D’honneur ! je sentirais mes yeux humides de larmes si j’avais l’estomac moins affamé !
– Fi ! Diégo, répondit Hermosa en se levant ; vous parlez comme un paysan !
– C’est que je me sens un véritable appétit de manant, chère amie.
– On va servir, répondit Hermosa.
Puis, se tournant vers le chevalier :
– Bonjour, Raphaël, dit-elle en lui tendant la main.
– Bonjour, petite sœur.
– Que m’a-t-on dit ? que vous étiez en expédition amoureuse ?
– Par ma foi ! on ne vous a pas menti.
– Et vous avez réussi ?
– Comme toujours.
– Fat !
– Corbleu ! interrompit le comte avec impatience, vous vous ferez vos
Weitere Kostenlose Bücher