Marcof-le-malouin
maître-autel. Puis il avait enveloppé dans le linceul un énorme lingot de cuivre préparé d’avance. Cela fait, et la bière refermée, on avait procédé à la descente du cercueil dans les caveaux du château.
La nuit venue, le marquis était sorti de son sommeil léthargique, et s’appuyant sur Jocelyn, avait quitté mystérieusement sa demeure à l’heure à laquelle Marcof arrivait à Penmarckh. Le gentilhomme et son serviteur se dirigèrent à pied vers le couvent de Plogastel, dans lequel le marquis savait que s’était nouvellement retirée sa femme. Seulement il ignorait l’expulsion récente des nonnes. Aussi, lorsqu’à l’aube du jour il pénétra dans le cloître, grande fut sa stupéfaction en trouvant l’abbaye déserte.
Le marquis parcourut ce vaste bâtiment solitaire. Désespéré, il prit la résolution de se cacher jusqu’à la nuit dans les souterrains. Alors il se mettrait en quête de la cause de cette solitude désolée. Jocelyn connaissait les habitations mystérieuses pour y avoir autrefois pénétré. Son père avait été jardinier du couvent de Plogastel, et l’enfant avait joué bien souvent dans ces cellules obscures que se réservaient les religieuses les plus austères. Ils descendirent donc tous les deux, et cherchèrent à s’orienter au milieu de ce dédale de voûtes et de corridors sombres. Bref, Jocelyn, guidé par ses souvenirs, parvint à introduire son maître dans ces réduits inconnus de tous.
Au moment où ils y pénétraient, ils furent frappés par la clarté d’une petite lampe dont les rayons filtraient sous la porte mal jointe d’une cellule. Convaincus que quelque gardien du couvent s’était retiré dans les souterrains, ils avancèrent sans hésiter, espérant obtenir des renseignements sur ce qu’étaient devenues les nonnes. Mais à peine eurent-ils franchi le seuil de la cellule, qu’un double cri de joie s’échappa de leur poitrine. Dans la religieuse demeurée fidèle à son cloître, le marquis et Jocelyn venaient de reconnaître mademoiselle Julie de Château-Giron, marquise de Loc-Ronan.
Cette rencontre avait eu lieu la veille du jour où nous avons nous-même introduit le lecteur près de la belle religieuse. Le marquis passa les heures de cette première journée à raconter à sa femme et les événements survenus et la résolution qu’il avait prise.
Julie avait conservé pour son mari le plus tendre attachement. Si elle avait pris le voile lors de la découverte du fatal secret, cela avait été dans l’espoir d’assurer la tranquillité à venir du marquis. La courageuse femme, faisant abnégation de sa jeunesse et de sa beauté, s’était dévouée, s’offrant en holocauste pour apaiser la colère de Dieu.
Elle avait même obtenu la permission de changer de cloître et de quitter celui de Rennes pour celui de Plogastel, dans le seul but de se rapprocher de l’endroit où vivait le marquis de Loc-Ronan, et dans l’espoir d’entendre quelquefois prononcer ce nom si connu dans la province.
La religieuse accueillit donc son mari, non comme un époux dont elle était séparée depuis longtemps, mais comme un frère et comme un ami pour lequel elle eût volontiers donné sa vie entière. Elle approuva aveuglément ce qu’avait fait le marquis. Puis elle lui raconta que, lors de l’expulsion de la communauté, elle se trouvait seule dans les cellules souterraines. La crainte l’avait empêchée de se montrer en présence des soldats, et, les gendarmes une fois partis, ne sachant que faire, elle avait résolu de conserver l’asile que la Providence lui avait ménagé ; seule, une vieille fermière des environs était dans le secret de sa présence et lui apportait chaque jour ses provisions qu’elle déposait à l’entrée des souterrains. Dès lors il fut convenu que le marquis et Jocelyn habiteraient une cellule voisine et qu’ils ne sortiraient que la nuit, revêtus tous deux du costume des paysans bretons, costume que la religieuse se chargeait de se procurer avec l’aide de la fermière. C’est donc à la seconde visite seulement du marquis auprès de sa femme, que nous assistons en ce moment. Les deux époux, calmes et heureux, ignoraient qu’à quelques pas de leur retraite et dans le même corps de bâtiment, demeuraient ceux qui leur avait fait tant de mal et avaient brisé à jamais leurs deux existences.
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Après quelques minutes, Jocelyn revint apportant un in-folio relié en velours noir,
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