Marcof-le-malouin
Rennes, ce nom vous échappait parfois… c’est donc celui d’un homme que vous aimez bien tendrement ?
– C’est celui d’un homme, chère Julie, envers lequel la destinée s’est montrée aussi cruelle qu’envers vous…
– Mais quel est-il, cet homme ?
– C’est mon frère !
– Votre frère, Philippe ! s’écria la religieuse.
– Votre frère, monseigneur ! répéta Jocelyn.
– Oui, mon frère, mes amis, et pardonnez-moi de vous avoir jusqu’ici caché ce secret qui n’était pas entièrement le mien ! Aujourd’hui, si je vous le révèle, c’est que les circonstances sont changées ; c’est que, passant pour mort vis-à-vis du reste du monde, je crois utile de ne pas laisser ensevelir à tout jamais ce mystère… Marcof, lui, ce noble cœur, ne voudra point déchirer le voile qui le couvre, et cependant il doit y avoir après moi des êtres qui soient à même de dire la vérité… la vérité tout entière !…
Un silence suivit ces paroles du marquis.
La religieuse attachait sur le marquis des regards investigateurs, n’osant pas exprimer à haute voix la curiosité qu’elle ressentait. Quant à Jocelyn, qui avait été témoin des relations fréquentes de son maître avec Marcof, il n’avait cependant jamais supposé qu’un lien de parenté aussi sérieux alliât le noble seigneur à l’humble corsaire. Le marquis reprit :
– Ce secret, je vais vous le confier tout entier. Jocelyn, parmi les papiers que nous avons emportés du château, il est un manuscrit relié en velours noir ?
– Oui, monseigneur.
– Va le chercher, mon ami, et apporte-le promptement…
Jocelyn sortit aussitôt pour exécuter les ordres de son maître.
*
* *
Avant d’aller plus loin, je crois utile d’expliquer brièvement comme il se fait que nous retrouvions dans les cellules souterraines du couvent de Plogastel, le marquis de Loc-Ronan, aux funérailles duquel nous avons assisté.
On se souvient sans doute de la conversation qui avait eu lieu entre le marquis et les deux frères de sa première femme. On se rappelle les menaces de Diégo et de Raphaël, et la proposition qu’ils avaient osé faire au gentilhomme breton. Celui-ci se sentant pris dans les griffes de ces deux vautours, plus altérés de son or que de son sang, avait résolu de tenter un effort suprême pour s’arracher à ces mains qui l’étreignaient sans pitié.
Le marquis de Loc-Ronan avait rapporté jadis, d’un voyage qu’il avait fait en Italie, un narcotique tout-puissant, dû aux secrets travaux d’un chimiste habile, narcotique qui parvenait à simuler entièrement l’action destructive de la mort. Ne voyant pas d’autre moyen de reconquérir sa liberté individuelle, il avait résolu depuis longtemps d’avoir recours à ce breuvage, à l’effet duquel il ajoutait une foi entière.
Le marquis était honnête homme, et homme d’honneur par excellence. À l’époque de son mariage avec mademoiselle de Fougueray, il n’avait pas tardé à s’apercevoir de l’indigne conduite de celle à laquelle il avait eu la faiblesse de confier l’honneur de son nom. Aussi, lorsqu’il anéantit son acte de mariage, sa conscience ne lui reprocha-t-elle rien. Pour lui, c’était faire justice ; peut-être se trompait-il, mais à coup sûr, il était de bonne foi.
Marié une seconde fois et adorant sa femme, il avait vu son bonheur se briser, grâce à l’adresse infernale du comte de Fougueray et du chevalier de Tessy. À partir de ce moment, son existence était devenue celle des damnés. Mademoiselle de Château-Giron s’était réfugiée dans un cloître, et lui était demeuré en butte aux extorsions continuelles de ses beaux-frères. Donc le marquis avait résolu d’en finir, coûte que coûte, avec cette domination intolérable. Ne confiant son dessein qu’à son fidèle serviteur, et ne pouvant prévenir Marcof qui, on le sait, avait pris la mer à la suite de sa conférence avec son frère, le marquis avait mis sans retard ses projets à exécution. Nous en connaissons les résultats.
Dès que le corps avait été enfermé dans le suaire, Jocelyn, faisant valoir deux ordres écrits de son maître, avait exigé qu’après la cérémonie funèbre lui seul procédât à la fermeture du cercueil. Tout le monde s’était donc éloigné de la chapelle. Jocelyn alors avait enlevé le soi-disant cadavre et l’avait déposé dans une chambre secrète réservée derrière le
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