Marcof-le-malouin
qu’un coup frappé discrètement à la petite porte la fit tressaillir.
– Entrez ! dit-elle en se relevant.
La porte s’ouvrit, et un homme de haute taille, enveloppé dans un ample manteau, entra doucement.
– Bonjour, mon ami, fit la religieuse en tendant à l’étranger une main sur laquelle celui-ci posa ses lèvres avec un mélange de respect profond et d’amour brûlant.
– Bonjour, chère Julie, répondit l’inconnu. Comment avez-vous passé la nuit ?
– Bien, je vous remercie ; et vous ?
– Parfaitement.
– Vous vous accoutumez un peu à cette existence étrange que vous vous êtes faite ?
– Je m’accoutumerai à tout pour avoir le bonheur de vous voir, vous le savez bien.
– Chut ! Philippe. N’oubliez pas l’habit que je porte !
– Hélas ! Julie, cet habit fait mon plus cruel remords !
– Ne parlez pas ainsi ! Dites-moi plutôt si vous avez eu soin de fermer la porte des souterrains.
– Sans doute. Pourquoi cette demande ?…
– C’est que depuis hier nous avons de nouveaux habitants dans l’abbaye.
– Qui donc ?
– Je l’ignore.
– Je le saurai, Julie.
– N’allez pas commettre d’imprudence, Philippe !…
– Oh ! ne craignez rien, ce n’est que la curiosité qui me pousse ; car ici nous sommes en sûreté, et nous pouvons braver tous les regards extérieurs.
– Où est Jocelyn ? demanda la religieuse après un court silence.
– Me voici, madame, répondit notre ancienne connaissance, le vieux serviteur du marquis de Loc-Ronan en paraissant sur le seuil de la cellule.
– Avez-vous apporté des provisions, mon ami ?
– Oui, madame la marquise.
– Dis : « Sœur Julie, » mon bon Jocelyn, interrompit l’inconnu. Madame ne veut plus être nommée autrement.
– Oui, monseigneur ! répondit Jocelyn.
L’étranger alors écarta son manteau et le jeta sur une chaise. Cet homme était le marquis de Loc-Ronan.
II – L’ABBAYE DE PLOGASTEL
Le vieux Jocelyn s’empressa de placer sur la petite table un frugal repas, bien différent de celui auquel avaient pris part les habitants de l’aile opposée du couvent. Le marquis offrit la main à la religieuse, et tous deux s’assirent en face l’un de l’autre. Jocelyn demeura debout, appuyé contre le chambranle de la porte, et, aux éclairs de joie que lançaient ses yeux, il était facile de deviner tout le bonheur qu’éprouvait le fidèle et dévoué serviteur. Le marquis se pencha vers la religieuse et lui fit une question à voix basse.
– Mais sans doute, Philippe, répondit-elle vivement ; vous savez bien que vous n’avez pas besoin de ma permission pour agir ainsi…
Le marquis se retourna.
– Jocelyn, dit-il, depuis trois jours tu as partagé ma table.
– Vous me l’avez ordonné, monseigneur.
– Et madame permet que je te l’ordonne encore, mon vieux Jocelyn. Viens donc prendre place à nos côtés…
– Mon bon maître, n’exigez pas cela !…
– Comment, tu refuses de m’obéir ?
– Monseigneur, songez donc qui je suis !…
– Jocelyn, dit vivement la jeune femme, c’est parce que M. le marquis se rappelle qui vous êtes, que nous vous prions tous deux de vous asseoir auprès de nous ; venez, mon ami, venez, et songez vous-même que vous faites partie de la famille… Vous n’êtes plus un serviteur, vous êtes un ami…
Et la religieuse, avec un geste d’une adorable bonté, tendit la main au vieillard. Jocelyn, les yeux pleins de larmes, s’agenouilla pour baiser cette main blanche et fine. Puis, comme un enfant qui n’ose résister aux volontés d’un maître qu’il craint et qu’il aime tout à la fois, il prit place timidement en face du marquis et de sa gracieuse compagne.
– Mon Dieu, Julie ! dit Philippe avec émotion, que vous êtes bonne et charmante !
– Je m’inspire de Dieu qui nous voit et de vous que j’aimerai toujours, mon Philippe ! répondit la religieuse.
– Oh ! que je suis heureux ainsi ! Je vous jure que depuis dix ans, voici le premier moment de bonheur que je goûte, et c’est à vous que je le dois…
– Il ne manque donc rien à ce bonheur dont vous parlez ?
– Hélas ! mon amie, le cœur de l’homme est ainsi fait qu’il désire toujours ! Je serais véritablement heureux, je vous l’affirme, si devant moi je voyais encore un ami…
– Qui donc ?
– Marcof.
– Marcof ?… En effet, Philippe, jadis déjà, lorsque nous habitions
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