Marguerite
sauf pour ta chemise que tu vas garder, naturellement.
Devant sa fille en mal d’enfant, Victoire prenait les choses en mains. Complaisante, madame Boileau la laissa faire et se préoccupa des détails :
— Emmélie, trouve une chemise propre pour notre accouchée.
Celle-ci retrouva Charlotte affairée à la cuisine.
— Je cherche les chemises propres de ta maîtresse.
—Y en a pas, mademoiselle. Vous le savez bien, je devais faire la lessive, puis vous m’avez fait tout arrêter, puis l{ qu’il commence à pleuvoir, je ne peux plus rien faire.
«C’est bien vrai», se dit Emmélie, hésitant entre le désespoir et le découragement tout en jetant un œil par la fenêtre. Et la sage-femme qui tardait ! Soudain, un bruit se fit entendre dans la cour. Le docteur rentrait enfin. Emmélie courut à sa rencontre. Talham se réjouit qu’Emmélie soit toujours chez lui
— Mademoiselle Boileau. Comment va ma femme ?
— Vous n’avez pas croisé Augustin ?
— Non, j’arrive de chez Gaboriau du chemin Sainte-Thérèse. Pourquoi ?
— C’est commencé, annonça la jeune fille.
— Le travail? Depuis quand? Souffre-t-elle?
— Depuis deux heures environ. Ma tante Victoire l’examine en ce moment. Ma mère est là aussi.
— Et la sage-femme ?
— On a envoyé Augustin la quérir. C’est pourquoi j’ai besoin de vous, docteur. Ne dételez pas tout de suite, nous devons aller chez nous.
— Mais je veux d’abord voir Marguerite ! Ah ! Charlotte, lit-il en voyant la servante qui allait chercher de l’eau.
Comment va madame ?
—Je. . Bien monsieur, je crois, bien.
— Comment ça, «je crois»? Mademoiselle Boileau, laissez-moi passer pour aller voir ma femme.
— Docteur, il manque de chemises propres et Marguerite en a besoin. La pluie commence et si on attend trop, le chemin sera plus boueux. Il faut faire vite.
— Des chemises propres ? Mais que signifie tout ce charabia? fit Talham, abasourdi.
— Allons docteur, fit Emmélie, impatiente, nous perdons du temps.
Dépassé par les événements, Talham obtempéra. Il reprit les rênes et Emmélie monta à ses côtés.
— Allons-y, vous me raconterez tout ça en chemin, grommela-t-il. Mais je vous jure que nous serons de retour dans moins d’un quart d’heure.
*****
Pendant qu’Emmélie était { la veille d’apprendre les rudiments du métier de sage-femme, Sophie maugréait intérieurement, assise auprès de son cousin Noël Lareau, se préoccupant de ne pas abîmer sa robe dans la vieille charrette. Le frère de Marguerite avait pour difficile mission de la ramener { la ferme. Le visage écarlate comme s’il venait de se frotter au savon du pays, le jeune homme resta silencieux tout le long du chemin tant la présence de sa belle cousine { ses côtés l’intimidait. Celle-ci ne semblait pas souhaiter faire la conversation non plus. Les premières gouttes de cette pluie qui s’annonçait depuis le début de l’après-dîner commencèrent à tomber lorsque la vieille maison fut en vue. Il était temps. Une seconde plus tard, elle tombait dru. Sophie se précipita hors de la charrette.
Que venait-elle faire ici ?
Elle connaissait peu la famille de Victoire et François Lareau, contrairement { sa sœur, et avait horreur de la campagne. L’été, Emmélie venait volontiers { la ferme et levait la fourche pour remplir des charretées de foin en riant avec ses cousins Lareau. Elle aimait la beauté des champs blonds, respirant avec bonheur l’odeur chaude de l’herbe fraîchement coupée. Au grand dam de sa mère, la jeune fille revenait hâlée comme une habitante, le visage rougi par le soleil malgré son chapeau de paille.
Sophie jugeait que sa sœur avait vraiment de drôles d’idées !
— Il y a du pain frais et un ragoût qui mijote dans l’âtre, pour le souper, expliqua François à une Sophie au visage fermé, tenant son paquet bien serré contre elle, se drapant dans une fausse dignité, outragée d’être dans cette cour boueuse.
La jeune Marie sortait de la maison, traînant par la main une petite Esther morveuse. Marie la moucha avec son tablier. Sophie eut un mouvement de dégoût.
— Je suis capable de m’occuper de la soupe toute seule, déclara la fillette en arborant un air de défi, sans même saluer.
Le visage renfrogné de Marie la fit sourire. « En voilà une autre qui est furieuse », se dit Sophie qui décida de faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Frustrée qu’on ait si peu confiance
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