Marguerite
serions en effet tous navrés si un tel accident arrivait { l’église de Chambly, avança Ovide de Rouville en tendant son verre vide à Pétrimoulx.
Ce dernier s’empressa de le resservir et les deux hommes trinquèrent en silence.
*****
Le tavernier et hôtelier Jonathan Bunker se targuait dé-
juger un homme d’un seul coup d’œil, talent indispensable pour quelqu’un qui exerçait comme lui le métier de cabaretier et d’aubergiste. L’Américain était propriétaire d’un bout de terrain attenant au quai le plus achalandé de la région, sur lequel se trouvait une maison suffisamment grande pour servir à la fois de résidence à la famille Bunker et de commerce. C’est l{ qu’il avait installé sa taverne et son hôtellerie. L’endroit était fréquenté par des étrangers de passage et des soldats, mais aussi par des habitants et des notables, et Bunker tenait à préserver une réputation honorable à son établissement. Il ne tolérait aucun écart de conduite chez lui, ce qui lui valait le respect du capitaine de milice Toussaint Ferrière et même celui du commandant du fort. Ses clients savaient qu’il n’hésiterait pas { recourir aux forces de l’ordre { la moindre incartade - si courante dans ce genre d’établissement - et se pliaient assez facilement aux exigences de l’hôtelier. Ainsi, monsieur Bunker avait réussi en peu de temps { s’attirer la considération de tous.
C’est pourquoi l’individu qui venait d’entrer lui déplut d’emblée. L’inconnu portait une chemise mal rapiécée sur un vieux justaucorps déchiré et un pistolet glissé dans une ceinture de laine rouge.
— Vous ! lança fermement Bunker en apercevant l’arme.
Vous allez devoir me laisser votre pistolet si vous voulez boire ou manger ici.
L’homme sortit son arme et la remit au tavernier, faisant apparaître trois chicots noirs dans un mauvais sourire. Puis, il commanda un pichet de bière.
Seul client dans l’établissement { cette heure-là, Ovide de Rouville fit un signe de la tête { l’homme qui vint le rejoindre à sa table. Rouville soignait ses relations avec Bunker, qui tolérait sa présence chez lui, pas plus. Il lui était déjà arrivé de quitter prestement les lieux à la demande du propriétaire. Bunker se promit d’avoir l’œil sur cette table.
C’était facile { cette époque de l’année, les habitants étaient aux champs à terminer la saison des semailles et sa taverne était vide, exception faite de quelques habitués.
— Monsieur de Rouville, je préfère que votre invité ne s’attarde pas trop sous mon toit, décréta l’hôtelier.
Même un insolent comme Ovide de Rouville n’aurait pas osé contrarier Jonathan Bunker. Il souhaitait surtout que Bunker oublie vite le visage de Shank, l’homme venu le rejoindre.
— Sortons, fit-il finalement en jetant quelques pièces sur la table. Vous finirez votre pichet tout { l’heure.
L’homme lui lança un regard mécontent, mais obtempéra après avoir fait signe { Bunker qu’il reviendrait.
Une fois dehors, Ovide tendit discrètement une bourse
{ l’homme.
— Vous savez ce que vous avez à faire. Ne laissez pas de traces et évitez de vous faire prendre. Je n’irai pas vous sauver. Il y a le dixième de la somme convenue. Le reste suivra après.
L’homme acquiesça discrètement et Ovide quitta rapidement les lieux. Il ne tenait pas { ce qu’on le surprenne en compagnie d’un pendard.
«Espérons que ce Shank saura se faire discret», pensa Ovide. Mais il avait bien choisi son moment, le village était désert. Il reprit son cheval en direction du faubourg et rentra chez lui.
Pour l’instant, il ne restait plus qu’{ attendre. Il lui fallait disparaître. Un séjour de quelques jours à Montréal devenait impératif.
Chapitre 16
L’incendie
Le village de Chambly baignait dans une douce quiétude et l’air embaumait encore des parfums printaniers transportés par une brise légère. Marguerite Talham terminait le désherbage de la haie de framboisiers et de gadelliers qui longeait le côté sud de son jardin tout en le protégeant du vent. Pour le reste, une petite clôture de planchettes qui attendaient toujours d’être peintes entourait le grand potager où la jeune femme cultivait les légumes essentiels
{ l’alimentation de la famille Talham : oignons, poireaux, choux, choux-fleurs, concombres, fèves, betteraves, pois, courges, légumes racines et laitues variées. Les
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