Marguerite
uniquement si tu te maries. Encore un petit effort, nous avons bientôt terminé. Courage !
Marguerite s’était finalement habituée { sa servante et avait repris en main le train de la maison, même si Charlotte n’avait pas changé de caractère. Elle manquait de cœur au ventre, toujours { s’apitoyer sur sa santé ou { chercher un prétexte pour ne pas travailler. Un membre s’engourdissait mystérieusement ou des changements d’humeur soudains perturbaient son système : elle était de constitution délicate, il n’y avait aucune autre explication. Indéniablement, le fait d’avoir grandi auprès d’un médecin la rendait très experte à détecter le moindre petit bobo.
Préoccupée par ses maux imaginaires, Charlotte ne s’était toujours pas aperçue du changement d’état de sa maîtresse.
Elle se lamentait donc pendant que Marguerite, travaillant d’arrache-pied depuis le matin, mettait à profit les quelques heures de liberté où elle n’avait pas le petit Melchior dans ses jupes. Ses amies et cousines Emmélie et Sophie Boileau avaient enlevé la redoutable petite tornade blonde pour une promenade en calèche. Elles se rendaient chez les Rouville, où la visite du garçonnet ferait plaisir au colonel, qui ne se lassait jamais de la présence de son filleul.
A presque trois ans, Melchior Talham était un enfant gracieux et souriant, et très conscient du charme qu’il exerçait auprès des adultes, particulièrement de ses tantes Boileau qui s’étaient entichées du petit garçon, s’émerveillant de la moindre prouesse du bambin. Même ses parents n’arrivaient pas { le gronder lorsqu’il faisait une bêtise. Le docteur pouvait bien hausser la voix, mais les pitreries de l’enfant le charmaient et il devenait impossible de le réprimander. Lorsqu’il pleurait, Marguerite le serrait dans ses bras pour le consoler, puis le laissait aller rapidement et Melchior courait se réfugier auprès de Charlotte où il trouvait toute l’affection du monde. Lorsqu’il s’agissait de prodiguer des soins au petit, cette fainéante s’exécutait avec grâce. Elle avait langé le nourrisson, puis, plus tard, l’avait habillé, mouché et dorloté, tout comme la Marguerite d’autrefois avait pris plaisir { choyer ses frères et sœurs en secondant sa mère. Madame Talham pouvait donc se consacrer { ses devoirs de maîtresse de maison et d’épouse de médecin sans s’inquiéter du petit: recevoir les dames de la paroisse pour le thé, organiser des soupers pour les relations de son mari et faire des visites. Pendant ce temps-là, Charlotte cajolait le petit Melchior; elle adorait l’enfant, qui le lui rendait bien.
Marguerite appréciait doublement cette belle journée, respirant à pleins poumons. La jeune femme eut une pensée affectueuse pour son mari qui lui offrait une existence au-delà de toute promesse et se réjouit de sa nouvelle grossesse. Ce serait un garçon, elle en était persuadée. Le fils d’Alexandre rétablirait l’équilibre. Mais quel équilibre?
Deux fils de pères différents ? Marguerite chassa vite cette pensée. L’enfant qu’elle portait remplacerait le petit Joseph, né deux ans auparavant, mais mort aussitôt en succombant
{ une crise de diarrhée { l’âge d’un mois.
Contrairement aux deux grossesses précédentes, vécues dans l’appréhension de la mort, cette fois-ci, la jeune femme débordait d’une énergie inattendue qui lui donnait le goût de l’action. Elle jardinait avec une ardeur qui lui donnait de belles couleurs et ses yeux pétillaient à nouveau.
— Je n’en peux plus, se lamenta encore Charlotte. Voyez, madame, comme je sue à grosses gouttes. Si je continue comme ça, je vais prendre du mal et je ne serai plus bonne à rien.
L’angélus du soir sonnera tantôt et vous avez invile les demoiselles à souper avec nous.
— Tu fais bien de me le rappeler, Charlotte, approuva Marguerite. Le soleil est encore haut, mais nous avons suffisamment travaillé pour aujourd’hui.
Elle se massa machinalement le dos avec un soupir de contentement; ses semis étaient terminés.
— Le docteur aussi reviendra bientôt de ses visites, ajouta-t-elle en replaçant des mèches rebelles sous son bonnet. Il doit passer chez madame Bresse. Mais ce ne sera pas très long : une dent à extirper.
*****
Lorsque Marguerite annonça { son mari qu’elle attendait un autre enfant, Alexandre accueillit la nouvelle avec un débordement de joie. En
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