Marguerite
fouine.
— Tiens, siffla-t-il, si ce n’est pas la Cendrillon des filles Boileau juchée sur son carrosse ! Allons, donne un baiser à ton prince !
Son haleine empestait le rhum. Sans répondre, la jeune fille fit toutefois un mouvement brusque pour se dégager, provoquant ainsi un éclat de rire sardonique. Il la détailla grossièrement de la tête aux pieds.
— Farouche, la fille, pour une habitante ! Pour qui tu t’es faite belle, sinon pour moi ?
— Monsieur de Rouville, laissez-moi tranquille, se défendit Marguerite. Mon père va revenir et il sera fâché s’il vous trouve après moi.
— Tu te trompes, la belle. Tous les habitants me donneraient leur fille, si seulement ils le pouvaient, fit-il en fanfa-ronnant, le père Lareau comme les autres. On se reverra plus tard, Cendrillon, gouailla Rouville avec un regard lubrique.
Avant que Marguerite ne puisse trouver une bonne réplique, une calèche qui passait par là vint se ranger près de la charrette.
— Tout va bien, mademoiselle ? demanda le conducteur à Marguerite pendant que le jeune homme lui tournait brusquement le dos.
Ovide de Rouville récupéra son cheval attaché devant chez Bunker et repartit en direction du faubourg sans demander son reste.
— Oui, oui, merci, répondit vivement la jeune fille, gênée que quelqu’un ait assisté { la scène disgracieuse.
Qu’est-ce qui se passe? demanda François Lareau qui venait de réapparaître avec son fils.
Ah ! Bonjour, docteur Talham, fit l’habitant en reconnaissant le médecin du village.
— Bonjour, monsieur Lareau. J’ai cru un moment que votre fille avait besoin d’aide.
— Qu’est-ce qui se passe, Marguerite ? demanda Lareau, intrigué.
Rien, père, répondit-elle faiblement. Tout va bien, ajouta-t-elle, son bel enthousiasme du matin totalement disparu.
L’odieux personnage se rendait assurément chez les Rouville, ses parents. Marguerite tenta de se rassurer en se disant qu’il y aurait foule chez le seigneur, que ses cousines seraient avec elle et que le détestable jeune homme ne lui prêterait plus d’intérêt. «Ce n’est pas lui qui va me gâcher cette journée», décida-t-elle.
Elle oublia vite l’incident. Le bruit d’un autre attelage attira son attention. Facilement reconnaissable grâce aux fines rayures rouges et dorées qui l’ornaient, la calèche fermée des Boileau passait à vive allure devant chez Bunker.
De l’une des portières, deux mains agitaient des mouchoirs.
Immédiatement, la jeune fille reconnut Emmélie et Sophie
— Hou hou ! Marguerite !
— A tantôt ! s’écria celle-ci tandis que le bel équipage, mené de main de maître par Augustin, le domestique de Monsieur Boileau qui faisait aussi office de cocher, disparaissait en direction du faubourg Saint-Jean-Baptiste.
La jeune fille ne pensa plus alors qu’au plaisir { venir.
François Lareau reprit les rênes de son cheval et, allégée, la charrette s’engagea { son tour sur le chemin du Roi.
Chapitre 3
Les écuries seigneuriales
La charrette des Lareau s’arrêta devant le manoir seigneurial de Melchior de Rouville où déj{ nombre d’habitants se pressaient dans la cour. Une bruyante clameur couvrait le grondement des rapides de la rivière Chambly qu’on entendait habituellement dans le faubourg Saint-jean-Baptiste, { l’est du vieux fort français.
Surplombant les rapides, près d’un moulin, l’imposante demeure en pierres dominait tout le faubourg. Deux ans auparavant, monsieur de Rouville, un militaire à la retraite que tous désignaient comme le «colonel de Rouville», avait choisi de construire son manoir seigneurial au village de Chambly, sur une petite terre qu’il tenait de ses aïeux. La grande maison était située en contrebas du chemin qui traversait cette partie de Chambly.
Pendant les nombreuses semaines qu’avait duré l’édification de la prestigieuse résidence, chaque étape avait retenu l’attention des villageois. Au quai, près du fort, étaient d’abord arrivés d’impressionnants «cageux». Tout le bois destiné à la charpente avait été lié en radeaux faciles à faire flotter sur la rivière Chambly, que les ouvriers engagés par monsieur de Rouville avaient démantelés avant de transporter les immenses madriers de chêne sur le chantier du futur manoir. Par la suite, tous avaient admiré la belle maçonnerie faite de pierres provenant d’une carrière voisine. Ils s’étaient aussi extasiés devant les
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