Marguerite
! Je te parie mon chapeau qu’il garde tout le surplus qu’il prend { gauche et { droite par-devers lui pour son bénéfice personnel. Le voleur!
— Calme-toi, lui conseilla sagement François Lareau.
C’est pas nouveau, il s’essaye toujours. Si tu continues à ce train-là, il fera appeler le capitaine de milice Ferrière.
— A part ça, ce maudit Anglais-là comprend pas un mot de français, poursuivit Tétrault de plus belle en faisant fi des recommandations de son voisin. C’est sa femme qui lui répète tout, et { sa manière. Tu parles d’une v’iimeuse ! Une belle menteuse, oui !
Prêtant une oreille distraite aux récriminations de l’autre, François Lareau bourrait sa pipe tout en songeant qu’il valait mieux régler ses affaires rapidement avant que le sieur Potts ne devienne vert de rage.
— Attendez-moi ici, les enfants. J’en ai pas pour longtemps.
Il entra dans la maison et pénétra dans une pièce minuscule où il faisait aussi sombre que dans le fond d’un poêle.
Ce réduit servait de bureau au commis. Le chandelier, placé sur la table, éclairait faiblement un livre de comptes bien ouvert sur l’écritoire qui faisait face { Potts.
— Ah,
monsieur
Lareau,
susurra
madame
Potts.
Comment allez-vous ?
Une femme entre deux âges arborant un teint jaune et un terne bonnet de mousseline fatiguée se tenait droite comme un « i », debout, derrière la chaise où était assis son mari. Pour se donner de l’importance, ce dernier portait une perruque poudrée { l’ancienne mode, même si de plus en plus, les bourgeois délaissaient cette coiffure d’un autre siècle pour la couette de cheveux attachée et contenue dans une bourse de peau d’anguille.
François Lareau se méfiait et observait attentivement chaque lettre tracée, chaque mot écrit, même s’il n’y comprenait goutte, tentant de reconnaître des caractères familiers, se tenant sur ses gardes devant le commis véreux.
Potts nota scrupuleusement dans le registre les cens et rentes de la concession Lareau en calculant la superficie de la terre suivant le terrier de la seigneurie. Pour ce faire, il retira d’une grosse pile de documents notariés un parchemin que Lareau reconnut comme étant le contrat de la concession autrefois faite { son père, par l’ancien seigneur de Niverville, un document qu’il était bien incapable de lire, mais dont il connaissait par cœur tous les termes. Potts le lisait en marmonnant, reprenait les chiffres à nouveau pour recompter la nature des rentes dues. Cette procédure tatillonne vexait l’habitant. Des générations de Lareau avaient toujours payé leurs rentes rubis sur l’ongle !
Indifférent, le commis poursuivait ses écritures, la plume serrée entre ses doigts noircis d’encre qui laissait sur le registre de gros pâtés malpropres. Avec une application forcée, il nota :
— Franceivay Laro, ten bushels offlour, two bushels ofbarley, eight capons. November eleventh the year one thousand eigth hundred and two .
—
Not eight capons, Mister Potts , répliqua vivement Lareau avec un accent français prononcé, ce qui ne l’empêchait pas d’entendre fort bien l’anglais. Sixcapons, insista-t-il en reprimant son irritation.
Ce diable de commis cherchait à le tromper ! Il comprenait la fureur de son voisin Tétrault. Même s’il s’y attendait, c’était enrageant de se faire prendre pour un imbécile.
— Les rentes ne changent pas d’une année { l’autre, rappela-t-il en s’adressant { la femme de Potts, sachant quelle parlait français ; c’était une Canadienne !
Celle-ci regarda son mari d’un air entendu, murmura Boileau’s cousin», puis se retourna vers l’habitant en s’excusant d’un ton onctueux:
—
Une petite erreur que monsieur Potts rectifie à l’instant, fit-elle dans un mauvais sourire.
— Sacrédié, madame ! Il ne faudrait pas que cette petite erreur se reproduise encore l’année prochaine.
— What’s going on1 ?
Madame Potts ignora son mari et demanda :
— Que voulez-vous dire ?
— C’est { croire que votre mari désapprend { compter d’une Saint-Martin { l’autre, riposta sèchement Lareau. Je ne suis pas tout seul à le penser ; ça fait que dites-lui bien que les habitants commencent à se plaindre tout haut. On a du monde qui nous représente au gouvernement et ils sont là pour nous défendre. Rappelez-lui ça, madame.
Puis, il se mura dans un silence glacial, fier de sa réponse, en
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