Marguerite
donnaient pas leur place, rivalisant d’élégance avec les dames.
Finalement, Ursule s’inclina cérémonieusement devant la maîtresse pour annoncer que madame était servie.
Emmélie dirigea les invités en leur désignant une place.
D’un côté, assis au milieu de la grande tablée, le maître de maison, fier comme Artaban, présidait la joyeuse assemblée avec, { sa droite, l’invitée d’honneur, madame de Longueuil, la baronne Grant. Celle-ci conversait aimablement avec son voisin d’en face, monsieur de Rouville. A la gauche de l’hôte venait madame de Rouville qui, pour une fois, semblait d’excellente humeur. Puis venait madame Boileau qui faisait face à son époux, flanquée à sa droite de messire Bédard et, à sa gauche, du colonel de Rouville. Ce dernier était d’humeur guillerette, comme s’en rendit compte Marie-Josèphe Bédard, sa deuxième voisine de table. La jeune fille repoussa avec doigté les avances galantes du vieux monsieur, qui se le tint pour dit et exerça son charme décati auprès de son autre voisine, la fille de la baronne, qui se riait gentiment du colonel. Emmélie incita les autres invités à se placer à leur gré, sans égard au rang de chacun. Ce beau jour d’été les conviait aux plaisirs de la compagnie de leur choix.
L’atmosphère décontractée permit à Julie de Rouville de bien manœuvrer pour occuper la chaise { côté du notaire René Boileau. «Par quel hasard Marguerite se retrouve-t-elle voisine de René ? » se demanda Emmélie en s’assoyant face à son frère. Lorsque Ovide de Rouville et Sophie prirent place à ses côtés, elle vit le visage de Marguerite se décomposer.
Ovide de Rouville avait enfin délaissé son habituelle goujaterie et tenait des propos charmants à Sophie qui s’amusait, sans plus. René, qui n’aimait pas son voisin d’en face, tourna résolument le dos { Marguerite après l’avoir brièvement saluée. Pourtant, la jeune femme était tout simplement ravissante dans une robe d’un joli bleu clair, avec un amusant plumet dans ses cheveux. Mais René s’empressa de complimenter la demoiselle de Rouville sur sa ravissante tenue. Cette dernière n’avait jamais été aussi radieuse. René Boileau semblait enfin la remarquer.
Pour une fois, grâce à la complicité de Sophie qui avait donné des instructions précises à la couturière, Julie portait une robe seyante faite d’une légère mousseline blanche richement brodée et ornée de rubans jaunes. La ligne classique de la robe lui allait à merveille, mettant en valeur son gracieux cou de cygne et ses yeux foncés qui brillaient au soleil de ce midi de juillet. Une soyeuse écharpe à franges glissait sur ses épaules, et la présence de René Boileau à ses côtés faisait le reste. «Elle est même jolie», constata Emmélie au sourire lumineux de Julie.
La conduite de René consistait à tout faire pour éviter d’échanger un mot avec Marguerite. « Un parfait goujat !
Dire qu’il est le parrain du petit Eugène. Faut-il qu’il soit épris pour agir ainsi ? » pensa Emmélie.
Mais bientôt, tous furent assis et Monsieur Boileau se leva pour porter une première santé à la baronne pendant qu’on servait un potage de légumes aromatisé de sauge, de thym et de romarin. Il retrouva facilement le ton emphatique de l’ancien parlementaire.
— Madame la baronne, votre visite honore Chambly, mais laissez-nous croire qu’elle lui portera également bonheur. Nous avons eu le malheur de perdre notre église il y a plus d’un an. Mais, tel un bon ange, votre séjour coïncide avec l’arrivée, dans quelques jours, de la nouvelle cloche de notre future église. Même si nous ignorons toujours où et quand cette église sera construite.
Cette allocution fut vivement applaudie. Rouville se leva à son tour. On lui connaissait quelques talents pour la poésie, puisqu’il avait écrit autrefois une tirade célèbre sur l’amère défaite de fort Stanwix et la lâcheté du lieutenant-colonel Barry St. Leger. Cette fois-ci, ses muses furent charmantes.
— Cette cloche, chère madame, est pour nous un signe d’espoir. Elle est comme le premier cri du nouveau-né qui comble sa mère de bonheur. Elle est la colombe du patriarche Noé qui annonce le retour de la vie sur terre. Elle ..
Les applaudissements reprirent de plus belle, interrompant le poète improvisé qui salua.
Puis, ce fut au tour du curé de s’extirper de son siège, dans un grand
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