Marguerite
soldats, lorsque l’officier supérieur était absent.
Le fiancé présentait un visage grave qui dissimulait la satisfaction que lui procurait son insolente victoire. Les négociations avec Bresse n’avaient pas été de tout repos.
Mais la jeune belle-sœur de l’opulent négociant était si compromise que ce dernier n’avait guère eu le choix que de céder aux exigences du lieutenant. Le mariage d’Agathe s’était conclu dans un odieux marchandage, le pire auquel avait jamais été confronté Joseph Bresse. Le ravisseur acceptait d’épouser Agathe { la condition que son futur beau-frère paye toutes ses dettes, plus de huit mille livres.
Par contre, Bresse avait exigé un douaire de quatre mille livres pour Agathe. C’était { prendre ou { laisser. Si le lieutenant refusait, il pouvait renoncer à Agathe et celle-ci serait enfermée au couvent. Evidemment, il avait accepté.
Seule Agathe resplendissait de bonheur, belle innocente qu’on avait tenue dans l’ignorance de toutes les tractations qui avaient entouré son mariage.
Le 19 février, elle épousait son beau lieutenant dans la chapelle du fort. Le curé Bédard vint bénir leur union, le cœur remplit de tristesse, persuadé que la jeune fille regretterait un jour son geste.
Après la cérémonie, Agathe emménagea immédiatement avec son époux dans un petit logement que Joseph Bresse avait loué dans une vieille demeure du canton. Une charrette modestement chargée de quelques meubles et ustensiles partit de chez les Bresse en direction de la nouvelle maison d’Agathe, pour la trouver { faire du feu dans un vieil âtre décrépit. Malgré sa douleur, Françoise avait eu pitié de sa jeune sœur qui trouva dans le lot de vieilleries un poêle avec ses tuyaux pour chauffer son misérable logement.
Mais, de ce jour, Françoise Bresse refusa de recevoir celle qui l’avait outragée et prit le deuil, interdisant { Clémence de communiquer avec leur sœur. Elle déclara vouloir ne plus jamais entendre parler de madame Me Ghie.
*****
Il régnait une certaine effervescence dans Chambly à l’approche de la Saint-Michel. Comme le voulait la coutume, le 29 septembre de chaque année signifiait la fin des récoltes, la fin des contrats d’engagement des ouvriers agricoles et le moment où de nombreux habitants reven-daient ou échangeaient des terres entre eux. Certains, jouissant d’un pécule suffisant amassé { force de labeur incessant au cours des dernières années, pouvaient enfin acheter une terre convenable pour établir un de leurs enfants. C’était aussi { cette époque que les grands proprié-
taires terriens renouvelaient leurs baux avec les fermiers qui exploitaient leurs fermes.
René Boileau était débordé. Il avait beau travailler d’arrache-pied du matin au soir, et jusque tard dans la nuit, il n’y arrivait plus. Son clerc notaire était épuisé, les doigts tachés d’encre { force de copier le nombre nécessaire d’expéditions des actes des clients du notaire qui se pressaient tout le jour, venus faire rédiger leur contrat à son étude.
Considérant cette affluence, Emmélie avait offert son aide à son frère. Quelques jours de travail clérical apporteraient un bon dérivatif à ses occupations habituelles, et la jeune femme se livrait avec joie { l’humble tâche de copiste.
Elle était installée à une table de travail près de son frère.
Une écritoire appartenant à Monsieur Boileau, leur père, avait été réquisitionnée pour la clerc notaire improvisée.
Ces moments privilégiés, arrachés à la routine immuable, donnèrent lieu à un échange de confidences entre le frère et la sœur lorsqu’ils se permettaient une pause. Un soir où ils avaient été particulièrement occupés, ils venaient tous les deux de finalement poser leur plume. Ils s’effondrèrent avant d’entreprendre le petit ménage de l’étude, afin que tout soit en ordre pour le lendemain.
— Notre père semblait furieux en lisant Le Canadien aujourd’hui, fit remarquer René en rebouchant son encrier.
— Et pour cause ! rétorqua sa sœur. Le journal était rempli des hauts faits de la campagne électorale qui se déroule actuellement et des rumeurs les plus farfelues qui circulent sur Panimosité grandissante entre Anglais et Français.
— Ah oui ? Raconte un peu. Je n’ai guère eu le temps de lire les gazettes au cours des derniers jours.
— Figure-toi qu’il y aurait un complot dans le Bas-Canada, un
Weitere Kostenlose Bücher