Marguerite
filles ont toutes des rêves. Même moi.
Marguerite sourit à cette pensée. Sa chère Emmélie ne parlait jamais de se marier, contrairement à Sophie qui cherchait le bon candidat en fréquentant assidû-
ment toutes les soirées de la région. Emmélie préférait le calme de la maison familiale, { l’exemple de son frère, mais se devait de suivre sa sœur dans ses pérégrinations mondaines.
— Et elles souhaitent choisir elles-mêmes leur futur mari ! dit Marguerite. En cela, je les comprends, ajouta-t-elle.
— Mais je suis inquiète pour Agathe, reprit Emmélie.
Elle a décidé d’imposer son futur époux { tous en acceptant de participer à ce soi-disant enlèvement. Mais de sa part, c’était surtout un geste de révolte, et j’ai bien peur qu’elle le regrette amèrement. Elle est beaucoup trop jeune pour mesurer la portée de son choix. Agathe n’est qu’une écervelée.
— J’avais { peu près le même âge lorsque je me suis mariée, fit Marguerite, pensive.
— Marguerite, tu ne pelix pas comparer ton mariage à celui d’Agathe, s’exclama Emmélie. Toi, tu n’as eu aucun choix.
Mais je crois que tu es beaucoup plus heureuse que ne le sera jamais Agathe Sabatté avec Jonathan Me Ghie.
Car ceux qui ont choisi pour toi ont fait un choix heureux, même si ce n’était pas le tien, je le sais. Et puis, je crois qu’il y a toujours une part de destinée dans ce qui nous arrive.
Malgré la différence d’âge et les circonstances de ton mariage, ton mari est le meilleur qui soit.
— Je sais, Emmélie, répondit gravement Marguerite, les yeux brillants. C’est compliqué tout ça, tu ne trouves pas ? ajouta-t-elle en passant doucement une main sur son ventre, geste propre des femmes enceintes.
Car Marguerite attendait de nouveau un autre enfant.
«Un autre fils pour Alexandre», songea-t-elle.
— Les sentiments, c’est toujours compliqué, admit Emmélie. Parfois, j’aimerais être comme Sophie qui sait toujours exactement ce qu’elle veut.
Elles reprirent leur ouvrage en silence, jusqu’au moment où les deux garçons commencèrent à se chamailler. Marguerite se leva pour punir Melchior qui frappait son petit frère. Mais ce n’était que des jeux d’enfant sans méchanceté.
*****
Le lendemain, après ses visites, Alexandre était allé porter quelques remèdes au curé qui avait pris froid et commençait { souffrir d’un vilain rhume. Joseph Bresse avait réglé la pénible affaire de sa jeune belle-sœur Agathe, lui avait appris discrètement le curé Bédard, sans toutefois lui révéler les détails que le docteur finirait inévitablement pas apprendre. Messire Bédard s’apprêtait { rédiger la demande de dispense { l’évêque et cette pénible tâche requérait un esprit clair. Encore une fois, il lui fallait se montrer habile et présenter de solides arguments pour convaincre monseigneur
Plessis
du
bien-fondé
d’un
mariage
entre une catholique et un protestant.
Il était tard lorsqu’Alexandre était rentré du presbytère.
Il était transis par le froid, affamé et épuisé par ces derniers jours à soigner les malades, et il avait gagné la cuisine pour raviver le feu. Il s’assit, seul, au milieu du silence de la maison où Marguerite, Melchior et Eugène dormaient.
Le docteur était profondément troublé. La sottise de la jeune Agathe Sabatté le plongeait dans la perplexité. La jeune fille avait trouvé le moyen de contraindre sa famille à lui faire épouser le parti de son choix. Il désapprouvait ce comportement fait de ruse et de duplicité, mais il ne pouvait s’empêcher de comparer la situation d’Agathe avec celle de Marguerite.
Elle était { peine plus âgée qu’Agathe le jour de leur mariage, mais elle n’avait jamais eu cet air insolent, ce ton impertinent et ces exigences d’impératrice. Son malheur n’avait jamais été de son fait. Il avait toujours cru qu’on l’avait forcée, et il le croyait encore. Après sept années de mariage, il connaissait la probité de sa femme et il l’aimait profondément.
Mais qu’aurait fait Marguerite si elle avait eu le choix ?
Des rumeurs avaient longtemps couru sur le compte de sa femme. Françoise Bresse n’avait pas manqué de lui faire entendre qu’on la disait amoureuse de son cousin, le notaire René Boileau.
Aujourd’hui, madame Bresse se retrouvait avec un beau scandale sur les bras, pire que celui qu’aurait pu causer Marguerite autrefois, si lui,
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