Marguerite
Boileau et moi-même connaissons la vérité. Mais nous la taisons à votre père, lui épargnant cette honte.
— Encore une fois, vous n’avez aucune preuve, soutint Rouville en l’affrontant du regard.
— Une autre personne est aussi au courant.
Ovide devint blanc.
— Qui?
— Je ne suis tout de même pas assez stupide pour vous révéler ce nom. C’est une précaution. S’il nous arrivait malheur, sachez que cette personne a ordre d’aller directement porter à votre père cette lettre, ajouta-t-il en brandissant une missive cachetée. Il y a aussi une copie dans le greffe du notaire et une troisième, à Montréal, chez une personne fiable. Avec vous, il ne faut prendre aucun risque.
— Maudit prêtre ! pesta Rouville.
— Voilà un autre péché que vous aurez à confesser, monsieur de Rouville, fit le curé, imperturbable. Injurier un serviteur de Dieu est une grave offense. Maintenant, écoutez bien ce que j’ai { vous dire. Je suis votre pasteur et à ce titre, je vous ordonne de vous tenir loin de la sainte table, aux offices religieux, tant que vous n’aurez pas fait une confession complète, sincère et repentie de tous vos péchés, sans en omettre aucun, { votre confesseur, c’est-
à-dire moi, Jean-Baptiste Bédard, curé de Chambly. Ensuite, si jamais un autre incident de ce genre parvenait à mes oreilles, n’ayez aucun doute, je m’empresserais d’aller tout dévoiler à votre père. Je vais aussi écrire à mes confrères des paroisses de la rivière Chambly. Ils seront avertis que vous êtes interdit de communion.
Ovide pâlit. Ne pas s’approcher de la sainte table, c’était porter flanc { l’opprobre. Ne pas communier un dimanche ou deux, voire un mois entier, cela pouvait passer. Mais au bout d’un certain temps, les paroissiens remarqueraient cette absence systématique et finiraient par se dire qu’il ne pouvait communier pour cause de non-confession, indiquant par le fait même qu’il était coupable de fautes graves et connues du curé. Il devrait se justifier auprès de sa mère qui s’étonnerait de la sévérité du prêtre et son père ne manquerait pas d’exiger des explications. C’était insupportable. La sentence de Jean-Baptiste Bédard était la pire de toutes.
— Saleté de prêtre ! siffla-t-il rageusement.
Ignorant l’insulte, messire Bédard croisa les bras et resta un immobile moment, toisant sévèrement le fils du seigneur de Rouville. Puis il lui désigna la porte sans ajouter un mot. — Vous ne m’aurez pas aussi facilement, Bédard. Je jure qu’un jour, vous allez me payer ça ! lança Ovide d’un ton menaçant en claquant la porte du cabinet.
« Ce maudit prêtre m’a piégé, mais il ne l’emportera pas au paradis » se dit-il en détachant son cheval.
Mais sur le chemin du retour, quelque chose lui revint.
Il y avait une faille dans le raisonnement du curé. L’enfant de Marguerite Lareau, celui qu’elle avait eu après six mois de mariage. . Le curé n’avait rien dit { ce propos. C’étail curieux. Il se rappela que la fille était vierge. Alors, qui était le père du petit bâtard ? Le docteur que tous portaient aux nues ? Ovide ricana. Ils étaient bien tous pareils, ces maudits bourgeois: des hypocçtes remplis de suffisance! Car s’il avait été le père de l’enfant, la gueuse l’aurait avoué au curé qui aurait aussitôt exigé réparation. N’était-ce pas ce que ces maudits prêtres faisaient toujours lorsqu’une misérable souillon révélait le nom du père de son petit bâtard, sans même se soucier si l’homme était manant ou noble.
Pourtant, quelque chose le turlupinait. Pour la première fois, en toute logique, il comprit que le fils aîné de Marguerite Talham pouvait être le sien. Melchior! Le petit bâtard portait le prénom de son parrain, Melchior de Rouville, qui était peut-être son grand-père. Quelle ironie !
Le docteur Talham connaissait-il la vérité? Jamais, au cours des dernières années, ce dernier n’avait eu un geste, une parole, voire un regard qui aurait pu laisser penser qu’il connaissait le nom du véritable père de Melchior. Qui sait?
Il tenait peut-être là le moyen de se sortir de ce mauvais pas.
Ovide était arrivé devant chez Bunker. Il posa le pied à terre, attacha sa monture et s’enfonça dans la sombre salle de la taverne. Il fallait qu’il réfléchisse { tout cela.
*****
Le curé Jean-Baptiste Bédard aspirait au repos. Agenouillé à son
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