Marie Leszczynska
scellés. Monsieur le Duc quitte Versailles dans son carrosse, comme pour rejoindre le roi ; et quand l’équipage est à bonne distance du château, il commande à ses gens de le conduire à Chantilly.
Au même moment, Monsieur de Fleury se présente chez la reine pour lui remettre un billet du roi : « Je vous prie, Madame, et, s’il le faut, je vous l’ordonne, d’ajouter foi à tout ce que l’ancien évêque de Fréjus vous dira de ma part, comme si c’était moi-même. » Signé : Louis.
La teneur du billet est digne d’une lettre de cachet. De la conversation qui a suivi avec le vieux prélat, la reine ne parlera jamais. Même Villars n’obtiendra aucune confidence : « Elle lisait ces lignes froides et cruelles, racontera plus tard le maréchal, avec des sanglots qui marquaient bien sa passion pour le roi. » Marie est bouleversée. Comment cet époux de seize ans peut-il être aussi dur avec elle ? L’aime-t-il vraiment pour agir de la sorte ? Les paroles de réconfort de Villars ont peut-être séché les larmes de la reine, mais elles n’ont pas calmé ses craintes.
Fleury devient maître du jeu
L’éviction du duc de Bourbon et de ses acolytes a été si rondement menée que la cour l’apprend avec retard. Bourbon est déjà à Chantilly, Pâris-Duverney
à la Bastille, ses frères exilés en province, et Madame de Prie [7] recluse dans son château de Courbépine, en Normandie. « Monsieur de Fréjus a accoutumé de bonne heure son élève à dissimuler », constate Barbier, oubliant que cette méthode a déjà fait ses preuves sous Louis XIV et le Régent. Mais il précise aussi que « le peuple a été si content de ce changement, qu’on a été obligé d’empêcher qu’il ne fît des feux de joie dans les rues ».
Le dimanche 16 juin, Louis XV réunit le Conseil d’En-haut pour annoncer qu’il prend les rênes du gouvernement, préférant se passer de premier ministre : « […] À l’égard des grâces que j’aurai à faire, ce sera à moi que l’on en parlera et j’en ferai remettre les mémoires à mon garde des Sceaux, à mes secrétaires d’État et au contrôleur général de mes Finances, chacun suivant leur département. Je leur fixerai des heures pour un travail particulier, auquel l’ancien évêque de Fréjus assistera toujours [...] »
On voit dans ce texte contradictoire qu’en dépit de la suppression de la charge de principal ministre de l’État, celle-ci est quand même confiée à Fleury. Or, il est déjà ministre d’État, ce qui revient à lui conférer les pouvoirs d’une charge inexistante. Bien que maladroite, la démarche répond au besoin du jeune roi d’avoir un homme de confiance auprès de lui, pour l’assister dans l’exercice du pouvoir. À sa manière, il tente de reconstituer le soutien protecteur créé en son temps par Philippe d’Orléans.
Il y a une seconde raison, évoquée par Michel Antoine dans sa biographie de Louis XV, inhérente à l’âge du prélat – soixante-treize ans – et à sa santé fragile : « Un premier ministre officiellement institué était par là même tenu de signer après le roi une multitude de papiers et de documents financiers, astreinte grande consommatrice de peines et de temps. En 1726, Fleury avait conscience d’être un vieillard et entendait consacrer toutes ses ressources intellectuelles et physiques à ses tâches politiques. » Louis XV lui en saura gré en le coiffant de la barrette de cardinal, le 5 novembre 1726.
Prête à tout pour l’amour du roi
La position de Fleury auprès du roi complique la situation de la reine qui se range aux conseils de Villars. Il lui suggère d’amadouer le prélat en lui demandant sans cesse conseil. Dès lors débute un échange de lettres portant sur des affaires le plus souvent anodines : questions d’étiquette, problèmes d’intendance, autorisations de promenades… Pour Marie, ces démarches sont humiliantes. Mais elle se comporte en élève docile et soumise, exactement comme l’avait espéré Madame de Prie. Prête à tous les sacrifices pour retrouver la confiance de son époux, elle multiplie les flatteries innocentes à l’égard de Fleury, s’intéresse à sa santé et l’appelle « mon chérissime ami ». Mais ces lettres sonnent faux. La reine et le mentor du roi se jouent une comédie empreinte de déférence et d’humilité chrétienne, alors qu’ils se détestent.
De nombreux passages des
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