Marie Leszczynska
complice. À peine s’est-il éclipsé qu’il reçoit le message de Fleury. C’est le coup de grâce ! Sans imaginer un instant que l’évêque a monté, lui aussi, une manoeuvre politique, le roi se croit définitivement privé de son mentor, de son véritable bras droit, du seul homme digne de sa confiance. Effondré, il s’enferme, se lamente et pleure toute la nuit.
Le lendemain, le duc de Mortemart, alors premier gentilhomme de la chambre, s’enquiert des raisons de cet immense chagrin royal. Sa réaction sort le roi de son apathie : « Sire ! N’êtes-vous pas le maître ? Ordonnez à Monsieur le Duc d’envoyer chercher sur-le-champ Monsieur de Fleury. » Le duc de Bourbon s’exécute, la rage au ventre, et Fleury reprend sa place auprès du roi comme si rien ne s’était passé…
Le duc a perdu, Fleury a gagné, mais la vraie victime de cette manipulation s’appelle Marie Leszczyńska. Catastrophée, consciente de sa terrible maladresse, elle voudrait s’expliquer avec le roi. Hélas, elle en est incapable. La reine se révèle couarde et n’a pas le courage d’affronter le regard glacial de ce jeune homme de seize ans qui se croit bafoué ; quant à lui, la rancoeur exacerbe sa timidité et l’empêche de faire le premier pas. Résultat : les deux époux s’enferrent dans une pesante situation de non-dits, d’autant plus détestable qu’elle s’installe quatre mois seulement après leur mariage ! Marie n’ose pas même révéler l’ampleur du désastre à Stanislas. Elle se contente de quelques mots faussement rassurants dans une lettre. Pour le roi de Pologne qui ne peut comprendre la réalité de la situation, c’est « une bonne leçon » que vient de recevoir sa fille. Et il conclut avec son optimisme habituel : « Le roi continue et augmente son amour pour la reine ; voilà ce qui est de sûr et de consolant. »
Dans l’oeil du cyclone
Puis la vie reprend, chacun s’efforçant de cacher ses détresses. Mais Marie se sent encore plus seule dans cet univers d’intrigues qu’elle vient d’égratigner avant même d’avoir eu le temps de le connaître. D’autant qu’on a incité Madame de Prie à s’éloigner de la cour, de même que Pâris-Duverney
, tous deux victimes de la tourmente soulevée par Monsieur le Duc. Pour tout réconfort, Marie ne peut désormais s’appuyer que sur son discret confesseur polonais, l’abbé Labiszewski, qui lui recommande la piété.
La veille de Noël, elle assiste à la cérémonie au cours de laquelle son époux, arborant le collier de l’ordre du Saint-Esprit, se livre au toucher des écrouelles après avoir reçu la communion des mains du grand aumônier. Les souverains sont dans leur tribune pour entendre les trois messes de minuit. Puis le roi prend place dans le choeur pour la grand-messe, célébrée par l’évêque de La Rochelle.
Selon la tradition, le 1 er janvier, princes et princesses du sang complimentent le roi et la reine. Dans la matinée, les chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, drapés dans leurs longs manteaux brodés de flammes, se rendent en procession à la chapelle. Ils précèdent le roi, grand maître de l’ordre. De la tribune, la reine suit la cérémonie. Elle est particulièrement émue, ce 1 er janvier 1726, car Louis XV doit remettre le collier au comte Michel Tarlo
, cousin germain de la reine Catherine Opalinska et compagnon de la première heure de Stanislas.
Le lendemain du Jour de l’An, Louis XV s’installe à Marly avec une cour réduite à cent vingt personnes. Marie trouve un certain charme à cette demeure royale, malgré les cheminées qui fument et l’eau qui gèle dans les cuviers. Le roi vient souvent chasser à Marly. Il traque avec la même ardeur cerfs, sangliers et lapins. Il s’enivre aussi de longues promenades en traîneau, le dernier divertissement à la mode. Frileuse, Marie se couvre de fourrures à la manière de son pays, rapidement imitée par les dames de sa suite ; si bien que l’on se croirait à la cour d’Auguste le Fort.
L’un des grands plaisirs de Marly, c’est le jeu, encore mieux qu’à Versailles ! Tous les jours, à sept heures du soir, la cour se retrouve dans le grand salon pour la partie de lansquenet quotidienne ; à neuf heures, le roi soupe avec la reine à son grand couvert ; puis à onze heures, les parties reprennent jusqu’au coucher des souverains. La reine adore le jeu, surtout le cavagnole [5] qu’elle
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