Marie
rêvaient-ils pas d’un pareil fils ?
Tout à
coup, Joachim se demanda si l’envoyer comme ambassadeur près du sourcilleux
essénien Guiora, qui prêchait tant la pureté, était une bonne idée. En vérité, ni
Barabbas ni lui n’y avaient songé. Cela pourrait bien compromettre la rencontre
avant même qu’elle ait lieu.
Néanmoins,
réfléchissant sur le chemin du retour jusqu’à la maison de Yossef, Joachim
décida de s’en remettre à la sagesse suprême du Tout-Puissant, de taire son
inquiétude et de ne pas attiser l’impatience déjà bien assez ombrageuse de
Barabbas.
6.
Durant
quelques semaines, ils oublièrent le drame qui les réunissait et la bataille
qui les attendait. Les journées s’écoulèrent, douces et calmes, émaillées de
petits bonheurs trompeurs comme le silence avant l’orage.
Miryem se
chargea du soin des enfants. Halva s’accorda enfin le repos qui lui était
nécessaire. Ses joues reprirent des couleurs, ses vertiges s’espacèrent et,
chaque jour, son rire retentissait à l’ombre des grands platanes.
Joachim ne
quittait plus l’atelier de Yossef. Il effleurait de la paume les outils,
portait des copeaux à ses narines, caressait le poli du bois comme il avait,
dans l’émerveillement de sa jeunesse, esquissé ses premières caresses
amoureuses.
Lysanias,
discrètement prévenu par Hannah, accourut, balbutiant de bonheur, bénissant
Miryem, lui baisant le front. Il apporta de bonnes nouvelles de la vieille
Houlda. Elle ne se ressentait plus des coups qu’elle avait reçus, retrouvait
son allant et même son sale caractère.
— Elle
me traite en vieux mari, gloussa-t-il avec ravissement. Aussi mal que si nous
avions toujours vécu ensemble.
Le travail
en commun lui manquait si fort qu’il se mit aussitôt à l’ouvrage avec Yossef et
Joachim. En quelques semaines, à eux trois, ils réalisèrent l’ouvrage de quatre
mois.
Chaque
soir, rangeant ses outils comme il en avait l’habitude depuis des lustres,
Lysanias déclarait avec satisfaction :
— Eh
bien ! Voilà qui te fait gagner un bout de chemin. Yossef, qui d’ordinaire
approuvait d’un sourire reconnaissant, avant d’inviter tout le monde au repas,
déclara un jour :
— Ça
ne peut pas continuer ainsi. Je paie son dû à Lysanias, mais toi, Joachim, tu
travailles sans accepter de salaire. C’est d’autant plus injuste que l’on me
passe des commandes du fait que ton atelier est fermé. Je me fais honte. Il
nous faut trouver un arrangement.
Joachim
rit de bon cœur.
— Allons
donc ! Le gîte, le couvert, le plaisir de l’amitié et la paix, le voilà,
notre arrangement, Yossef. Cela me suffit. Ne t’inquiète pas, mon bon ami. Le
risque que tu prends en m’accueillant ici avec Miryem est bien assez grand.
— Ne
parle pas de Miryem ! Elle travaille autant qu’une servante.
— Que
non ! Elle soulage ton épouse. Paie Lysanias comme il se doit, Yossef.
Pour ce qui est de moi, n’aie aucun scrupule. Le bonheur à travailler avec toi
me suffit. Dieu seul sait quand je pourrai récupérer mon atelier, et rien ne me
comble davantage que de pouvoir m’agiter dans le tien.
Yossef protesta
sans se départir de son sérieux. Joachim n’était pas sage. Il devait songer au
lendemain, penser à Miryem et à Hannah.
— Désormais,
que tu le veuilles ou non, à chaque commande payée je mettrai de côté de
l’argent pour toi.
Lysanias
interrompit la discussion.
— Surtout,
Yossef, impose des délais à tes clients, et des retards, aussi. Sinon, ils vont
croire que tu as pactisé avec les démons pour travailler aussi vite !
Seul
Barabbas demeurait d’humeur sombre. Impatient, sur le qui-vive, il restait persuadé
que les mercenaires allaient fondre sur Nazareth pour se venger de la
disparition de Joachim. Qu’ils s’en abstiennent le troublait et il craignait un
mauvais coup. Pour ne pas être pris par surprise, il décida de faire le berger.
Du matin
au soir, enveloppé d’une vieille tunique de lin aussi brune que la terre, il
s’aventurait sur les pentes d’herbe folle autour de la maison, au milieu des
têtes de petit bétail que Yossef avait réussi à soustraire à la rapacité des
percepteurs. Il s’éloignait assez pour surveiller les allées et venues autour
du village. Il prit tant de plaisir à cette liberté, à ces longues marches dans
les parfums des collines exaltés par la chaleur de fin de printemps, qu’il lui
arriva plus d’une fois de
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