Marie
ce reproche. Elle avait fermé les paupières. Ses lèvres
tremblaient à nouveau. Elle murmura :
— Je
n’aime pas cette maison. Je n’aime pas ces hommes, je n’aime pas ces règles. Je
croyais que Joseph pourrait m’enseigner à lutter contre le mal et la douleur,
mais ici je n’apprendrai rien car je suis une femme.
Ruth
soupira et secoua la tête, navrée.
— Abdias
était un ange du ciel, reprit Miryem d’une voix à la fois sourde et violente.
Il fallait le sauver. Rien n’est juste, rien ! Barabbas n’aurait pas dû le
laisser combattre. Moi, j’aurais dû savoir le soigner, et Joseph aurait dû
savoir le ressusciter. Nous sommes tous fautifs. Nous ne savons pas faire régner
le bien et la justice.
A présent,
Ruth se demandait si le maître ne se trompait pas et si, hélas, le frère
Gueouél n’avait pas raison. Cette fille de Nazareth n’était pas guérie. Au
contraire, elle avait bel et bien perdu l’esprit.
Miryem lut
le doute sur le visage de sa compagne. La colère qui l’avait submergée ces
dernières heures lui revint, battant dans ses tempes et sa gorge. Elle se leva
brutalement, enjamba le banc comme si elle allait partir.
Dans les
cuisines, les servantes avaient cessé leur travail et les observaient, guettant
la dispute. Miryem se ravisa. Elle s’inclina vers Ruth :
— Tu
me crois folle, n’est-ce pas ? Ruth rougit, le regard fuyant.
— Inutile
de décider maintenant. Demain, tu verras. Repose-toi encore et après la nuit…
— Après
la nuit, le jour viendra, identique à celui d’aujourd’hui. Je ne suis pas folle
et toi, tu es trop satisfaite d’être ignorante. Je vais te dire qui était
Abdias.
D’une voix
blanche, elle raconta comment elle avait rencontré le jeune am-ha-aretz à
Sepphoris, comment il avait, à Tarichée, sauvé son père Joachim de la croix et
comment les mercenaires d’Hérode l’avaient tué en épargnant Barabbas.
— Évidemment,
c’est un mercenaire qui a planté une lance dans sa poitrine. Bien sûr, c’est
Hérode qui paie le mercenaire pour semer la douleur parmi nous. Mais c’est
nous, nous tous, qui avons placé la poitrine d’Abdias devant la lance. Par
notre faiblesse. Car nous supportons sans réagir ceux qui nous humilient. Car
nous nous habituons à vivre sans justice, sans amour ni respect pour les
faibles. Parce que nous ne refusons pas le poids du mal qui pèse sur nos
nuques. Quand un am-ha-aretz meurt pour nous, le mal est encore plus grand. La
faute est encore plus lourde. Parce que personne ne pense à lui, personne ne
crie vengeance. Au contraire, chacun se courbe un peu plus avec indifférence.
Miryem
avait haussé la voix. Ruth ne s’attendait pas à ce flot de paroles et demeura
bouche bée, tout comme les servantes dans la cuisine.
— Où
est le bien ? gronda encore Miryem. Ici ? Dans cette maison ?
Non, je ne le vois nulle part. Suis-je aveugle ? Où est le bien
qu’engendrent ces hommes qui veulent être purs afin de pouvoir rejoindre l’île
des Bienheureux ? Le bien qu’ils nous offrent, à nous tous, le peuple de
Yhwh, où est-il ? Je ne le vois pas.
Il y avait
des larmes dans les yeux horrifiés de Ruth.
— Tu
ne dois pas parler ainsi ! Pas ici, où ils viennent par centaines pour que
le maître les soulage de leur douleur. Oh non ! Tu ne dois pas. Ils sont
là avec leurs enfants, leurs vieux parents, et chaque jour le maître fait
ouvrir la porte et les reçoit. Il fait tout ce qu’il peut pour eux. Souvent il
les guérit. Mais, parfois, il y en a qui meurent dans ses bras. C’est ainsi. Le
Tout-Puissant décide.
Cet
argument, Miryem l’avait trop entendu.
— L’Éternel
décide ! Mais moi je dis que l’injuste est l’injuste et qu’il n’y a pas à
l’accepter en baissant le front.
Avec un
grognement de rage elle s’éloigna.
— Attends !
Où vas-tu ?
Ruth avait
agrippé sa tunique et la retenait. Miryem tenta de se dégager, mais la poigne
de la vieille servante était ferme.
— Je
vais au cimetière, sur la tombe d’Abdias. Je suis certaine que nul ne s’y est
rendu pour faire le deuil !
— Attends,
s’il te plaît, attends !
La
supplique, dans la voix de Ruth, intrigua Miryem. Elle cessa de se débattre, se
laissa emprisonner les mains par les doigts rêches et usés.
— Ton
garçon n’est pas dans le cimetière.
— Que
dis-tu ?
— Les
frères ne l’ont pas voulu. Les am-ha-aretz ne sont
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